Dans l’entretien qu’il accorde à Stéphane Friédérich, Mikhail Rudy confesse combien la grande cadence du Deuxième Concerto de Prokofiev « provoque un bonheur déjà physique parce qu’elle se compose de spirales sonores de plus en plus larges qui imposent un défi en termes d’endurance ». Cela s’entend, et il y bataille !, faisant sonner les registres d’un orgue imaginaire : son piano est une splendeur.
On est à Saint-Pétersbourg, le 19 mars 1995, concert d’abonnement du Philharmonique, capté par un preneur de son privé, mais probablement professionnel aguerri ! Une folie emporte le Scherzo ; soudain devenue amère, elle fera ricaner le cortège très Ange de feu de l’Intermezzo, Mariss Jansons entraînant ses Pétersbourgeois dans un stupéfiant Jérôme Bosch sonore. Génial simplement : j’ai l’impression de voir les notes jaillir de la partition.
Ce que célèbre d’abord ce disque, qui ne doit pas passer inaperçu, sont les affinités électives, musicales et humaines, que partageaient Mariss Jansons et Mikhail Rudy. EMI Classics les aura illustrées avec le Premier de Tchaikovski et toute l’œuvre concertante de Rachmaninov, quel dommage que le label rouge n’ait pas poursuivi avec les Concertos de Prokofiev, ce dont ce Deuxième épique – les divagations du Finale sont détaillées comme rarement – console un peu.
En ouverture d’album, un Concerto de Grieg d’une simplicité admirable rappelle que si Mikhail Rudy y est exemplaire de tenue, préférant les paysages au pathos, Mariss Jansons y est chez lui après tant de saisons passées à Oslo.
Entre les deux concertos, cinq pièces où le pianiste est seul : Mort d’Isolde emplie d’un orchestre imaginaire, ligne dorée d’un Nocturne de Chopin, feux-follets hypnotiques d’une Etude de Scriabine qui rappelle quel formidable disque sous étiquette Calliope il consacra jadis au compositeur du Poème de l’extase, renversante étude Pour les huit doigts de Debussy, jouée à la manière d’une fusée, Prélude de Prokofiev avec l’humeur capricieuse qu’il faut y mettre, histoire de rappeler contre quelques grincheux la maîtrise d’un pianiste maniant également la plume avec art : maître (russe, c’est lui qui écrit le roman) et élève (français) confrontant leurs destins singuliers dans l’effondrement de l’URSS, la silhouette de Poutine prêt à ouvrir la boîte de Pandore, comme si Mikhail Rudy se racontait au travers de deux masques au long de son second roman Le Disciple (Les Presses de la Cité, 238 pages).
LE DISQUE DU JOUR
Edvard Grieg (1843-1907)
Concerto pour piano et orchestre en la mineur, Op. 16
Franz Liszt (1811-1886)
Isoldes Liebestod, S. 447 (d’après la scène finale de « Tristan und Isolde, WWV 90 » de Wagner)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en ré bémol majeur, Op. 27 No. 2 (Lento sostenuto)
Claude Debussy (1862-1918)
12 Études pour piano, CD 143 – Livre I (extrait : No. 6. Pour les huit doigts)
Sergei Prokofiev (1891-1953)
10 Pièces pour piano, Op. 12 (extrait : No. 7. Prélude)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 16
Alexandre Scriabine (1872-1915)
8 Études, Op. 42 (extrait : No. 3 en fa dièse majeur. Prestissimo)
Mikhail Rudy, piano
Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg
Mariss Jansons, direction
Un album du label Le Palais des Dégustateurs PDD038
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Photo à la une : le pianiste Mikhail Rudy –
Photo : © Thomas Morelfort