La révolution Bruckner

Les trois premières symphonies, auxquelles il faudrait ajouter les 0 et 00, sont plus que l’atelier de Bruckner modelant son orchestre dans les moules de la forme : elles sont des révolutions qui déclenchèrent la panique chez les éditeurs comme chez les interprètes. On ne pouvait écrire ainsi, il fallait réformer cette audace puisqu’elle était géniale, mais dans le cas de la Troisième Symphonie, Bruckner en quelque sorte eut le mot de la fin : en 1877, il remit l’œuvre sur le métier, gommant les trop voyantes citations wagnériennes mais affirmant les singularités de son orchestre.

C’est dans ce monde sauvage que Thomas Zehetmair engage l’excellent Musikkollegium Winterthur qui historiquement apprit son Bruckner avec Josef Keilberth, tempi passati !, Zehetmair joue la Troisième Symphonie « historiquement informée » : tempos fulgurants, usage minimal du vibrato (qui du coup devient un élément stylistique employé à des fins expressives), accentuation des rythmes. Au final, cinquante minutes d’une musique absolument moderne, on comprend mieux pourquoi les contemporains hurlèrent au fou.

Cette conscience de l’innovation que constitue l’orchestre brucknérien se double d’une interprétation saisissante pas ses contrastes, l’intensité de son expression, l’allant inextinguible de ses phrasés, un orchestre dont tous les pupitres attaquent, donnant une sensation de vertige polyphonique : écoutez seulement la section centrale du premier mouvement (Mehr bewegt), vous serez saisi par l’ardeur de cette musique inouïe. Et l’Andante ? Tel un vaisseau doré, il avance, il file sur un lac de brumes – image fascinante.

Ah, si un tel disque pouvait être le prélude d’une intégrale des neuf symphonies !

LE DISQUE DU JOUR

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 3 en ré mineur, WAB 103 (version 1877)

Musikkolegium Winterthur
Thomas Zehetmair, direction

Un album du label MDG 9012090-6
Acheter l’album sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : © Musikkollegium Winterthur