C’était fatal, ce démiurge infernal à l’égo revendiqué ne pouvait que céder à la tentation Mahler. Après tout, Teodor Currentzis est un génie à sa façon, et en quelque sorte ce disque le prouve.
Alors qu’il déchaînait des tempêtes dans Dido & Aeneas de Purcell, voilà qu’il se boutonne dans Mahler, entendez qu’il se surveille : tout dans cette Sixième qui aurait dû le commettre par excès si justement il avait cédé à son caractère premier, proclame qu’il veut enfin surpasser son égo.
Il était temps, et force est de constater qu’il remporte l’épreuve de feu que constitue la plus périlleuse des symphonies strictement orchestrales de Mahler, celle-là même qui fascina Herbert von Karajan lorsqu’enfin il s’autorisa à aborder l’univers du compositeur du Chant de la terre.
Miracle, comme chez Karajan, les grands ritenutos dont il tend l’Allegro initial n’affaiblissent jamais la ligne, soutiennent le discours, préparant la section magique de la musique d’altitude où les cloches des troupeaux alpins font entrer l’éternité de la nature dans le chaos de l’homme, moment magnifiquement réalisé, mais qui – si on se souvient d’Horenstein à Stockholm – est une composition.
Après tout, pourquoi le lui reprocher ? Oui, son Andante manque de ce ciel étoilé qu’Horenstein, encore lui, évoquait, mais bon point !, Currentzis, conscient de l’impact dramatique que cela suppose, rétablit le Scherzo en seconde position, et quel Scherzo !, impérieux, dangereux, sans pourtant rien d’acerbe, dansé comme un menuet avec la mort, et quelle précision dans tout cela, comme MusicaAeterna joue !
L’Andante est passé – l’émotion est encore une vertu que la farouche volonté du jeune homme craint plus que la camarde – le Finale peut venir, éperonné dès que le chaos du premier effondrement et la nuit de tombeau des tubas se seront estompés : implacable combat sans fin, d’où tous sortiront harassés et nous aussi, rincés, comme l’aura voulu Mahler, sans espoir de se relever.
Finalement, Mahler a trouvé un nouveau génie dévolu à sa cause, il faut qu’il se transforme en poète, qu’il s’autorise cette liberté supplémentaire où soudain Mahler chante, transfigurant sa musique. Je saurais où il en sera rendu, le jour où il gravera l’envers de la 6e, la 4e !
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 6
MusicAeterna
Teodor Currentzis, direction
Un album du label Sony Classical 019075822952
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Photo à la une : © DR