Berlioz avait brossé en touches vif-argent les aventures romaines de Benvenuto Cellini, Camille Saint-Saëns cueille l’orfèvre à la cour de François Ier mais lui préfère son séduisant apprenti, Ascanio, objet d’une rivalité amoureuse féminine : la Duchesse d’Étampes dont l’amour est ignoré par le jeune homme épris de Colombe d’Estourville entreprend d’empoisonner sa rivale, mais ce sera l’amie d’Ascanio, Scozzone, qui boira le poison par dévouement.
Sur cet argument imparable tiré du Benvenuto Cellini de Paul Meurice, Saint-Saëns a composé l’un de ses meilleurs opéras, inondés d’ariosos fabuleux, d’une imagination d’écriture orchestrale aussi inspirée que virtuose, qui se démarque de Gounod (et le pastiche dans le ballet mythologique de l’Acte III).
Tout en s’inscrivant dans la veine de ses ouvrages historiques (le ton d’Étienne Marcel écrit une année auparavant s’y fait entendre) ouvre sur un univers de haute fantaisie où la comédie romantique, les scènes de foule et de compagnonnage (avec un petit ton « Meistersinger »), voisinent avec des pages sombres, hautement dramatiques : la plume alerte du livret de Louis Gallet n’est pas pour peu dans une telle réussite. L’œuvre est si singulière qu’il est incompréhensible d’en tenir seulement aujourd’hui le premier enregistrement, et quel !
Guillaume Tourniaire aura rassemblé une distribution de haute volée, le ténor blond de Bernard Richter campant un Ascanio spectaculaire, solaire, impertinent, face à la Duchesse d’Étampes impérieuse, dangereuse, de Karina Gauvin, Jean-François Lapointe dessinant un Cellini paternel.
On surveillera avec attention Camille Tilquin, encore un peu fraîche pour ouvrir les ailes de Colombe, alors qu’Ève-Maud Hubeaux rayonne dans sa chanson florentine qui ouvre le deuxième acte, merveille !, et émeut dans la discrétion de son départ pour un trépas qu’elle seule connaît, quelle artiste !
Mention spéciale à Jean Teitgen, impeccable François Ier et bravo au chœur nombreux et virtuose, à toute la troupe de jeunes gosiers qui enchantent les petits rôles sous la baguette gourmande et sensible de Guillaume Tourniaire.
Et si demain ils s’attelaient tous à Henri VIII ? En attendant, le Palazzetto Bru Zane promet d’éditer bientôt Le Timbre d’argent ressuscité par la Salle Favart, le temps des opéras de Saint-Saëns est enfin venu.
LE DISQUE DU JOUR
Camille Saint-Saëns
(1835-1921)
Ascanio
Jean-François Lapointe, baryton (Benvenuto Cellini)
Joé Bertili, baryton-basse (Pagolo)
Bernard Richter, ténor (Ascanio)
Ève-Maud Hubeaux, mezzo-soprano (Scozzone)
Jean Teitgen, basse (François Ier)
Karina Gauvin, soprano (La Duchesse d’Étampes)
Clémence Tilquin, soprano (Colombe d’Estourville)
Mohammed Haidar, baryton (Un mendiant)
Bastien Combe, ténor (D’Estourville)
Maxence Billiemaz, ténor (D’Orbec)
Raphaël Hardmeyer, baryton-basse (Charles Quint)
Olivia Dotney, soprano (Une Ursuline)
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Chœur et Orchestre de la Haute École de Musique de Genève
Guillaume Tourniaire, direction
Un coffret/livre-disque du label B Records LBM013
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Photo à la une : le compositeur Camille Saint-Saëns en 1915 – Photo : © © Rue des Archives/Reporters