Leonard Bernstein ne fréquenta le théâtre de Richard Wagner qu’épisodiquement : de New York, un premier acte de Walküre (1968, Farrell, King, Langdon), âpre et violent, mériterait d’être mieux édité, sinon les quelques scènes de Götterdämerung et déjà Tristan und Isolde.
Mais entre janvier et décembre 1981, la Radio Bavaroise immortalisa une captation au long cours où il osait tout Tristan, document tout aussi fabuleux que destabilisant dont la bande son fut publiée par Philips : le plus long Tristan de l’histoire de l’enregistrement. On savait que les caméras de la télévision avaient capté ce « semi-staged », voici enfin le film original en format 4/3 nettoyé des scories qu’il avait subies durant des années d’archivage.
L’ampleur des tempos permet à Bernstein de faire émaner tous les venins d’un orchestre étouffant à force de sensualité morbide : quel deuxième acte ! Devant l’immensité du geste, les chanteurs se surpassent, à commencer par Hildegard Behrens, magicienne plus nostalgique que furieuse au I, amante bouleversante, lovée dans un érotisme vocal quasiment « salomesque » tout au long du II. Rien que pour cette Isolde, la captation est imparable d’autant que la caméra affine le personnage.
Mais Yvonne Minton n’est pas en reste, Brangäne très contrôlée qui fait miroiter les splendeurs de son timbre avant l’urgence des mots, en accord avec la battue souvent esthétisante de Bernstein dont l’appassionato continuel semble ici se convaincre que les splendeurs de Karajan ne sont pas si méprisables qu’il les avait crues.
Peter Hofmann est magnifique, mâle, ardent, mais doit composer avec les tempos irrespirables que lui impose Bernstein pour ses délires du III : il y survit, puisant dans cette longueur de souffle qui fit un temps sa légende au point qu’on avait pu croire fugitivement à un nouveau Windgassen. Hans Sotin parfait, Bernd Weilkl trop rustaud, le venin idéal d’Heribert Steinbach pour Melot, le merveilleux berger de Zednik, le Seeman dans un brouillard d’étoiles de Thomas Moser, équipe assez idéale pour l’époque.
Les chanteurs, en tenue très seventies, sont alignés au-dessus de l’orchestre, en fond de scène, quelques montages brouillons, de probables raccords playback, tout cela ne gâche pas l’émotion, avivée dès que la caméra saisit la battue enveloppante, le visage extasié de Leonard Bernstein, si heureux de diriger ce chef-d’œuvre enfin conquis.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Wagner
(1813-1883)
Tristan und Isolde, WWV 90
Hildegard Behrens, soprano (Isolde)
Peter Hofmann, ténor (Tristan)
Yvonne Minton, mezzo-soprano (Brangäne)
Bernd Weikl, baryton (Kurwenal)
Hans Sotin, basse
(König Mark)
Heribert Steinbach, ténor (Melot)
Heinz Zednik, ténor
(Un berger)
Raimund Grumbach, baryton (Un timonier)
Thomas Moser, ténor (Un jeunemarin)
Chor und Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Leonard Bernstein, direction
Un coffret de 3 DVD du label C Major 746208
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Photo à la une : © DR