Longtemps le Concerto de Busoni, avec son chœur d’hommes apparaissant dans le Finale, fut considéré comme un monstre. Puis les choses changèrent après la Deuxième Guerre mondiale : au concert, Noel Mewton-Wood (à Londres avec Beecham), Pietro Scarpini (avec Kubelik à Munich) et enfin John Ogdon au disque (His Master’s Voice) en révélèrent les sombres beautés.
Ils avaient tous les trois les moyens de leurs politiques : des virtuoses qui avaient regardé de l’autre côté du miroir, saisissant les enjeux spirituels d’une partition qui réfugiait ses secrets derrières des averses de notes.
En concert, Kirill Gerstein ne fait qu’une bouchée de l’écriture diabolique que Busoni porte jusqu’à l’ivresse dans la Tarentella de l’All’italiana où caracole Arlecchino, doigts fabuleux qui envolent le clavier, couleurs fusantes, main gauche d’orchestre qui viendra frapper le portique ouvrant le Cantico, et proclamera la strette démente.
Si l’exaltation de cette interprétation est saisissante, c’est d’abord le caractère mystique de l’œuvre, et aussi ses sulfures faustiennes, qu’elle exalte : la profondeur des Bostoniens dirigé avec intensité par Sakari Oramo n’y est pas pour peu, mais ce Concerto est d’abord l’œuvre d’un personnage : le piano.
La densité du jeu de Gerstein ébranle le meuble qu’est aussi l’instrument, on l’entend trembler dans la plénitude des octaves, mais elle le fait également murmurer, prier, rêver. Gerstein déroule son récit hypnotique, fascinante expérience qui aura captivé un public aussi médusé que moi à l’écoute de ce concert devenu un disque tout simplement historique.
LE DISQUE DU JOUR
Ferruccio Busoni (1866-1924)
Concerto pour piano et orchestre en ut majeur, Op. 39, BV 247
Kirill Gerstein, piano
Chœur d’hommes du Festival de Tanglewood (chef de choeur : Lidiya Yankovskaya)
Boston Symphony Orchestra
Sakari Oramo, direction
Un album du label Myrios Classics MYR024
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Photo à la une : le pianiste Kirill Gerstein © Marco Borggreve