La voix de Schumann fut celle du baryton, registre médian qui venait se loger au cœur de son piano et les barytons aimèrent ses mélodies autant que celles de Schubert qui les composa pourtant plus facilement dans l’aspect pratique d’une voix de milieu, leur ôtant le souci de transcrire. Alors que Schumann écrit pour le vrai baryton, allant même à le faire se souvenir de son registre d’enfance lorsqu’il le fait chanter en voix de tête dans l’élégie Stirb, Lieb’ und Freud !.
Fischer-Dieskau, Prey, Souzay, Kruysen furent ses hérauts, car à Schumann, il faut des chanteurs lettrés qui connaissent leur Kerner, leur Eichendorff, leur Heine, leur Rückert. C’est Kerner qui est au centre de deux albums parus en même temps : comparer les Zwölf Gedichte Op. 35 de Christian Gerhaher et de Mathias Goerne, est-ce raison ?
Non. Gerhaher sur tout son disque Schumann est la modestie même, la simplicité presque jusqu’à la naïveté, il met ici très peu de voix, et claire : les poètes chantent en quelque sorte avant lui. Admirable certainement, surtout dans des opus de la fin où tant auront pris un ton pathétique, mais ce chant discret, cette pudeur qui en désarment tant et probablement avec raison me laissent un peu au bord du chemin, malgré le piano si suggestif de Gerold Huber, qui doit aussi pour entrer dans le jeu de son chanteur-diseur, se mesurer.
Alors que le couple formé d’un même souffle par Matthias Goerne et Leif Ove Andsnes s’avance dans le sombre fleuve des Kerner d’un pas de Wanderer, allant admirable jusque dans ses suspensions, ses repentirs, ses réflexions désabusées. Cette poésie de timbres si mariée entre eux – le velours du grain de voix de Goerne se tissant au velours du toucher d’Andsnes – est une osmose dans laquelle l’auditeur se laisse entraîner, un monde en soi, celui de Schumann absolument, un crépuscule magicien qui s’étend aussi au Liederkreis Op. 24.
Puisque Matthias Goerne semble à l’orée d’un voyage chez Schumann, surtout qu’il ne change pas son pianiste comme il l’avait fait pour Schubert, car ici, son art est indissolublement reflété dans celui de Leif Ove Andsnes.
LE DISQUE DU JOUR
Robert Schumann
(1810-1856)
Liederkreis, Op. 24
12 Gedichte von Julius Kerner, Op. 35
Matthias Goerne, baryton
Leif Ove Andsnes, piano
Un album du label harmonia mundi HMM802353
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Robert Schumann
6 Gesänge, Op. 107
Romanzen und Balladen, Vol. II, Op. 49
Warnung (No. 2, extrait des 3 Gedichte, Op. 119)
3 Gesänge, Op. 83
12 Gedichte von Julius Kerner, Op. 35
4 Gesänge, Op. 142
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano
Un album du label Sony Classical 19075889192
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Photo à la une : le baryton Matthias Goerne – Photo : © Marco Borggreve