Hunter College, New York, un soir de novembre 1971, des micros heureusement ouverts captent le Deuxième Livre des Préludes de Debussy sous les doigts de Vladimir Ashkenazy. Même dans une captation prise de la salle, l’absolue beauté de son toucher dont je sais les irisations coloristes reste idéalement assortie à la musique française, pas moins que ne l’était à la même époque le jeu de Sviatoslav Richter.
D’ailleurs les pianistes russes et Debussy, c’est une vraie histoire d’amour, Vedernikov, Lubimov, Gilels évidemment … mais Vladimir Ashkenazy, qui laissa si peu de son répertoire français au disque, et encore moins de Debussy (de toute façon trahi par l’assommoir de Decca), avait une fantaisie supplémentaire : écoutez seulement ses Fées un peu fantasques où déjà Ondine paraît.
Concert de pure magie qui rappelle que seul un immense pianiste peut aller au plus secret de Debussy avec cette simplicité où l’art cache l’art : écoutez Canope, regret subtil qui dit sa plainte, et quelle Ondine, vive, délurée, piquante, chantant dans un syrinx, s’ébrouant de soleil ! Les Feux d’artifice, pris hors d’haleine, sont abstraits, ligne droite où tout entre dans le mouvement.
Vladimir Ashkenazy a voulu la publication de ce concert, mieux !, il a ajouté le Premier Livre, enregistré le 29 octobre 2017 au Tonzauber Studio du Konzerthaus de Vienne. Quel piano !
Comme dans ses récents Bach, hélas moins bien captés, ce clavier s’est « essentialisé ». Usage minimal de la pédale pour produire des lignes claires, conscience de l’harmonie, fureur rentrée pour les deux poèmes éoliens, et cette lumière blanche, quasi Satie, qui ouvre le livre sur l’impeccable diptyque Danseuses de Delphes–Voiles : il est temps encore pour poursuivre dans d’aussi bonnes conditions chez Debussy, compositeur qui sait obtenir le meilleur des pianistes parvenus à la décantation de leur art : que Vladimir se souvienne de Claudio, et continue de nous enchanter.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 125
Préludes, Livre II, L. 131
Vladimir Ashkenazy, piano
Un album du label Paladino Music PMR 0100
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Photo à la une : le pianiste Vladimir Ashkenazy – Photo : © DR