La révolution Cavalli

Cavalli composa pour Venise un fleuve d’opéras qui produisit l’âge d’or d’un style mêlant le tragique et le buffo, l’élégiaque et la comédie, mais il écrivit aussi pour d’autres théâtres ultramontains et même pour la France de Mazarin : on sait les déboires de ce séjour, les désagréments du voyage, l’envie irrésistible de retrouver la lagune.

En 1658, le voyage fut moins long : pour la naissance du premier fils de Philippe IV, le Grand Duc de Toscane lui commanda pour la scène florentine un opèra ou son frère le Cardinal Giovan Carlo de Medicis imposa quelques conditions, entre autres une scène de bataille dont Monuglia en charge du livret s’arrangea, créant dans la trame d’Ipermestra une pièce de théâtre où la bataille put paraître, sans froisser l’intrigue générale.

Entre divertissement de cour et vrai opéra à la vénitienne, L’Ipermestra regorge de ces merveilleux petits ariosos où Cavalli saisit en quelques phrases les sentiments de ses personnages. Dans cette fable célébrant la naissance tant attendu d’un enfant royal s’expose le récit d’une lignée royale en péril que la divine providence saura sauver.

Longtemps endormi dans les rayonnages de la Bibliothèque Marciana, voici qu’Ipermestra est enfin révélée. La partition est d’une beauté troublante, d’un théâtre vif et élégiaque à la fois, elle comporte tous les artefacts du style Cavalli, et Mike Fentross l’anime avec feu, dirigeant un savoureux ensemble d’instruments anciens.

Distribution parfaite que domine L’Ipermestra d’Elena Monti, mais il faut pourtant donner la palme de l’émotion à Danao, son père exilé dont le bref lamento Citta d’Argo che abbrucia montre toute l’économie du génie expressif de Cavalli. Mark Tucker, formidable Arbante, déploie ses aigus perçants, Gaëlle Le Roi est le charme même, Emanuela Galli donne à Linceo toutes ses ambigüités, le théâtre est partout dans cette captation réalisée en scène au Stadsschouwburg d’Utrecht le 24 août 2006, et je me demande pourquoi cette bande documentant l’un des chefs-d’œuvre de Cavalli est demeurée si longtemps impubliée.

L’occasion de rappeler que ce fut la scène de Glyndebourne qui amorça la redécouverte des ouvrages lyriques du Vénitien. Raymond Leppard fut son bon ange, lui offrant un orchestre surdimensionné mais qui permit à La Calisto d’Ileana Cotrubas d’enchanter un théâtre qui avait pour Dieux Mozart et Rossini.

Quel plaisir de retrouver dans un son restauré cette Calisto où brillent la Diane de Janet Baker, l’Endimione de James Bowman, où paraît l’irrésistiblement déjantée Linfea d’Hugues Cuénod.

Quatre ans après le ballon d’essai de L’Ormindo, rééditée également aujourd’hui et dont la distribution demeure inégalée (Isabel Garcisanz, Jane Berbié, John Wakefield, Hugues Cuénod), La Calisto devait laisser un souvenir impérissable dans la mémoire de toute une génération qui s’emparerait à son tour du continent Cavalli.

LE DISQUE DU JOUR

Francesco Cavalli
(1602-1676)
L’Ipermestra

Elena Monti, soprano (Ipermestra)
Emanuela Galli,
mezzo-soprano (Linceo)
Gaëlle Le Roi, soprano (Elisa)
Marcel Beekman, ténor (Berenice)
Sergio Foresti, basse (Danao)
Mark Tucker, ténor (Arbante)
La Sfera Armoniosa
Mike Fentross, direction
Un coffret de 3 CD du label Challenge Classics CC72774
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Francesco Cavalli
La Calisto

Marjorie Biggar,
mezzo-soprano (La Natura)
Enid Hartle,
mezzo-soprano (L’Eternità)
Teresa Cahill,
soprano (Il Destino)

Ileana Cotrubas, soprano (Calisto)
Dame Janet Baker, mezzo-soprano (Diana)
James Bowman, contre-ténor (Endimione)
Ugo Trama, basse (Giove)
Teresa Kubiak, soprano (Giunone)
Peter Gottlieb, baryton (Mercurio)
Hugues Cuénod, ténor (Linfea)
Janet Hugues, soprano (Satirino)
Federico Davia, basse (Pane)
Owen Brannigan, basse (Silvano)
Isla Brodie, mezzo-soprano (Eco)

Glyndebourne Festival Opera Chorus
London Philharmonic Orchestra
Raymond Leppard, direction
Un album de 2 CD du label Decca 4829400 (Collection Eloquence Australia)
Acheter l’album sur le site de la collection Eloquence, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Francesco Cavalli
L’Ormindo

John Wakerfield, ténor (Ormindo)
Peter-Christoph Runge, baryton (Amida)
Isabel Garcisanz, soprano (Nerillo)
Hanneke van Bork, soprano (Sicle)
Jean Allister, mezzo-soprano (Melide)
Hugues Cuénod, ténor (Erice)
Anne Howells, mezzo-soprano (Erisebe)
Jane Berbié, mezzo-soprano (Mirinda)
Federico Davia, basse (Ariadeno)
Richard van Allan, baryton (Osmano)

London Philharmonic Orchestra
Raymond Leppard
Un album de 2 CD du label Decca 4829382 (Collection Eloquence Australia)
Acheter l’album sur le site de la collection Eloquence, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le luthiste et chef d’orchestre Mike Fentross – Photo : © Simon Van Boxtel