Entrant sur la grande pédale façon Rheingold que Bartók disposa à l’entrée de son Prince de bois, Susanna Mälkki le fait immédiatement frère des affres de l’autre chef-d’œuvre que la plume de Béla Balázs aura inspiré à Béla Bartók, Le Château de Barbe-Bleue : cette tension mystérieuse, ces cors poétiques mais dangereux vont vous faire plonger dans les abysses de la plus expressionniste des partitions d’un jeune homme qui avoue ici, comme dans les Quatre pièces, sa fascination pour Schoenberg et ses amis.
Le Prince de bois est unique dans l’œuvre de Bartók, œuvre-sœur du Pelleas und Melisande de Schoenberg, un océan de sons moirés, sombre, envoûtant, où le saxophone pleure et les cordes poudroient, pure écrin de magie sonore noire, avec un peu de sang coulé partout, un conte horrifique dont seuls jusque le trio Süsskind–Ferencsik–Dorati avaient pu respirer les parfums méphitiques.
Mälkki fait comme eux, elle tend l’arche du récit, laisse cet orchestre étouffant dans ses fantasmes nocturnes, on aurait pu la croire plus proche de la façon de Pierre Boulez qui radiographiait tout, quitte à faire saillir les angles. Mais non, ici la nuit règne dans les étoffes sèches, râpées, d’un Philharmonique d’Helsinki idéalement apparié aux teintes de l’œuvre.
Dommage que BIS n’ait pas osé un double album avec la version intégrale du Mandarin merveilleux : la suite me laisse dubitatif, parfaitement calibrée, menée avec un sens implacable des équilibres, mais c’est dans le ballet qu’aurait pu s’exalter – meurtre et déploration – tout le parallèle poétique possible avec Le Prince de bois.
LE DISQUE DU JOUR
Béla Bartók (1881-1945)
Le Prince de bois, Op. 13,
Sz. 60, BB 74
Le Mandarin merveilleux,
Op. 19, Sz. 73, BB 82 – Suite
Orchestre Philharmonique d’Helsinki
Susanna Mälkki, direction
Un album du label BIS 2328
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Photo à la une : la chef d’orchestre Susanna Mälkki – Photo : © Sakari Viika