Troquant l’archet pour la baguette, Thomas Zehetmair n’entendait pas le faire en vain, il ne serait pas un de ces pénultièmes instrumentistes devenus chef d’orchestre, il avait son mot à dire, ce qu’il fit dès deux albums Sibelius assez remarquables avec le Northern Sinfonia.
L’expérience devait aller plus loin avec Musikkollegium de Winterthur, une Troisième Symphonie de Bruckner, chroniquée ici même, partagea la critique, nul doute que son nouvel album dévolu aux quatre Symphonies de Brahms produira les mêmes effets, et même pour moi d’ailleurs.
Est-on prisonnier à ce point du grand orchestre, des vastes legatos, de l’automne enivrant des couleurs, des structures puissantes auxquels tant de chefs nous ont accoutumé ici, au point qu’on ne saurait s’en déprendre même pour une expérience ? Le geste très calculé, volontiers fragmentaire, les phrasés réarticulés sans grâce (et pour produire une dramaturgie tout autre, voire même la faire saillir là où on n’aurait jamais cru qu’elle fut possible), le non-legato et le quasi non-vibrato nous changent drastiquement les paysages et pas toujours en bien.
Paradoxe, l’œuvre qui devrait le plus trouver son miel dans ces audaces, le manifeste démiurgique de la Première Symphonie, en soufre, morcelée, étalée, quasi équarrie. Au contraire, les architectures de la Quatrième résonnent, le vaisseau s’anime, le discours se tend, véritable réussite d’un cycle trop expérimental : si la Troisième Symphonie survit, et parfois étonne, la pastorale de la Deuxième, délitée, maniérée, pleine de repentirs au point que plus une ligne ne s’y voit, est à peu près impossible.
Reste que j’écoute et que je m’interroge devant cet atelier ouvert à tous les vents, en pensant que cet attelage singulier était autrement à son œuvre chez Bruckner.
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphonie No. 1 en ut mineur, Op. 68
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 73
Symphonie No. 3 en fa majeur, Op. 90
Symphonie No. 4 en mi mineur, Op. 98
Musikkolegium Winterthur
Thomas Zehetmair, direction
Un album de 2 CD du label Claves 1916/17
Acheter l’album sur le site du label Claves Records, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : le violoniste et chef d’orchestre Thomas Zehetmair – Photo : © Dan Brady