Il aura fallu un demi-siècle pour s’apercevoir de la place première que tenait l’œuvre d’Erwin Schulhoff dans l’histoire de la musique moderne. On croyait que, de son immense catalogue, Supraphon avait révélé toutes les partitions essentielles au long de sa vaste anthologie, mais c’était sans compter sur Gerd Albrecht et son génie de la découverte.
En 1999, il entraînait le mezzo profond de Doris Soffel dans l’enregistrement de deux partitions majeures restées dans les rayonnages des bibliothèques : Landschaften, écrit sous le traumatisme de la Grande Guerre, semble directement coulé des sombres inspirations de la Symphonie Lyrique de Zemlinsky, et souligne à quel point le jeune Schulhoff était fasciné par Gustav Mahler et ses amis de la Seconde Ecole de Vienne.
Partition magnifique plongée dans les diaprures d’un monde sonore idéal assez Schreker par instants, qui n’est plus considéré qu’avec une certaine ironie quelque mois plus tard dans l’autre symphonie pour voix d’alto et orchestre, Menschheit, conte désabusé où l’orchestre semble célébrer un paradis perdu alors que les poèmes de Däubler sont d’un pessimisme terrible. Là encore, les références à Mahler abondent, et Doris Soffel fait entendre les parentés évidentes avec Le Chant de la Terre.
Quel contraste lorsque résonnent les éclats néo-classiques, la verve persiffleuse de la Musique pour « Le Bourgeois gentilhomme », orchestre d’épices, formules mordantes, traits ironiques, ce ballet un peu nègre, assez jazzy, cache en fait un concerto pour piano, bois et percussion où paraît l’enfant terrible Schulhoff, celui qui fut l’un des maîtres du surréalisme en musique : Michel Rische s’y amuse, pianiste fabuleux chez lui dans cet univers abracadabrantesque.
LE DISQUE DU JOUR
Erwin Schulhoff
(1894-1942)
Landschaften, Symphonie pour mezzo-soprano et orchestre, Op. 26, WV 44
Menschheit, Symphonie pour alto et orchestre, Op. 28,
WV 48
Musik zu « Le Bourgeois gentilhomme » – Concerto-Suite pour piano, sept instruments à vents et batterie, WW 79
Doris Soffel, mezzo-soprano
Michael Rische, piano
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Gerd Albrecht, direction
Un album du label Orfeo C056031A
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Photo à la une : le chef d’orchestre Gerd Albrecht – Photo : © DR