Ermanno Wolf-Ferrari, Vénitien comme il l’était dans une Sérénissime marquée par l’emprise autrichienne, plaça son œuvre en équilibre entre deux mondes, le bel canto italien et le post-romantisme germanique, et entre deux langues.
Le sujet des Quattro rusteghi, pris chez Goldoni, lui inspira son opéra le plus virevoltant, d’une fantaisie délicieuse qui prend son sel dans le Falstaff de Verdi, accumule les ensembles effervescents dans des finales d’actes aux emballements rossiniens.
On ne sait pas assez qu’il conçut toutes ses comédies de musique en pensant en même temps des prosodies italiennes et allemandes, les œuvres devant avoir des carrières parallèles des deux côtés des Alpes.
Quel bonheur de voir qu’Ulf Schirmer s’attache à nous rendre les moutures germaniques que Richard Strauss appréciait tant et qui ne furent pas pour peu dans ses inspirations très parlando d’Intermezzo ou de Die schweigsame Frau.
Hier, Die neugierigen Frauen ouvraient le bal ; aujourd’hui, c’est au tour de ces Vier Grobiane, la plus réussie des transfusions de l’esprit de Goldoni dans la verve théâtrale de Wolf-Ferrari.
L’allemand acère encore les caractères, sans jamais alourdir la virtuosité de l’écriture, Jürgen Linn est impayable en Lunardo, Christina Landshamer une épatante Lucieta, Christine Buffle campant en deux mots le caractère bien trempé de Felice, et quel abatage à la Barbieri ose Zoryana Kushpler, mezzo opulent de vraie matrone.
Sur tout ce théâtre vif-argent, Ulf Schirmer règle un orchestre de haute fantaisie qu’Ermanno Wolf-Ferrari a ouvragé en orfèvre. Soirée de pure plaisir, irrésistible.
LE DISQUE DU JOUR
Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948)
Die vier Grobiane
(I quattro rusteghi, version allemande)
Christina Landshammer, soprano (Lucieta)
Susanne Bernhard, soprano (Marina)
Christine Buffle, soprano (Felice)
Nathalie Flessa, mezzo-soprano (Une jeune servante)
Zoryana Kushpler, mezzo-soprano (Margarita)
Markus Francke, ténor (Filipeto)
Uwe Eikötter, ténor (Comte Riccardo)
Peter Schöne, baryton (Simon)
Jürgen Linn, basse-baryton (Lunardo)
Victor von Halem, basse (Maurizio)
Friedemann Röhlig, basse (Cancian)
Müncher Rundfunkorchester
Ulf Schirmer, direction
Un album de 2 CD du label CPO 555140-2
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Photo à la une : © DR