Charpentier avait réservé les fureurs et les étreintes de son saisissant David et Jonathas au Collège Louis-le-Grand, Montéclair osa présenter sur la scène de l’Académie Royale de Musique la première tragédie lyrique sur un sujet pris dans la Bible.
Montéclair avait d’abord songé à faire donner l’œuvre au Collège des Jésuites de Caen qui en effet créa certains scènes, avant que les représentations parisiennes, véritable triomphe, ne soient menacées par une interdiction de l’Archevéque Vintimille, qui resta lettre morte : l’ouvrage s’imposa comme un des favoris de l’Académie, repris moultes fois jusqu’en 1761, mais aussi donné dans les Académies de province (Lyon, Marseille), aux Tuileries, à Versailles, au Concert de la Reine.
L’ouvrage abonde en pages saisissantes (les symphonies et danses d’orchestre, somptueuses, les grands effets durant le serment de Jephté comme le Jourdain s’ouvrant devant le peuple d’Israël) et en idées mélodiques. Montéclair sait caractériser tous les sentiments, du plus emporté au plus tendre (le magique air d’Iphise à l’Acte V, avec l’écheveau de ses cordes divisées.
William Christie avait tiré Jephté de l’oubli, lui offrant une admirable première mondiale au disque pour harmonia mundi en 1992, personne depuis n’avait osé se mesurer à ce modèle, mais György Vashegyi savait qu’il disposait d’un chanteur né pour incarner les tourments de Jephté. Tassis Christoyannis s’empare de ce personnage de toute sa voix noire, exhaussant ses fureurs et ses douleurs, faisant éclater les mots de Pellegrin, donnant à l’ouvrage de Montéclair une puissance d’incarnation qui nous rappelle que son unique Tragédie, fruit de sa maturité – il s’éteint cinq ans après la création – s’inscrit au même niveau que les chefs-d’œuvre contemporains de Rameau – Hippolyte et Aricie sera crée l’année suivante.
György Vashegyi enregistre l’œuvre telle que l’édita pour la troisième fois Boivin l’année même de la mort du compositeur qui revint sur sa partition à chaque reprise pour l’éloigner un peu plus de la tragédie biblique afin d’en augmenter les intrigues amoureuses : l’Iphise de Chantal Santon Jeffery, le Phinée de Thomas Dolié, l’Ammon de Zachary Wilder formant un trio qui rend bien compte de cette nouvelle donne.
Mais ce qu’entend d’abord György Vashegyi, et ce qu’il souligne bien plus que ne le faisait William Christie, c’est l’ardeur biblique, le geste sacré d’une Tragédie restée unique dans l’histoire du genre.
LE DISQUE DU JOUR
Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737)
Jephté
Tassis Christoyannis, baryton (Jephté)
Chantal Santon Jeffery, soprano (Iphise)
Judith van Wanroij, soprano (La Vérité, Almasie)
Thomas Dolié, baryton (Phinée)
Zachary Wilder, ténor (Ammon)
Katia Velletaz, soprano (Terpsichore, Vénus, Une habitante de Maspha,
Une Israëlite, Élise, Une bergère)
Adriána Kalafszky, soprano (Polymnie)
Clément Debieuvre, haute-contre (Abdon, Un Hébreu)
David Witczak, baryton (Apollon, Abner, Un habitant de Maspha)
Purcell Choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, direction
Un album de 2 CD du label Glossa GCD924008
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Photo à la une : le baryton Tassis Christoyannis – Photo : © Marios Makras