Fantaisies et poèmes

Choisissant chez Kreisler de quoi faire un plein disque, Dmitry Sitkovetsky se détourna des compositions originales de pur charme pour herboriser parmi les transcriptions : interprète, il se tourne logiquement du côté de l’interprète. C’est vouloir saisir au travers des autres l’autoportrait que Kreisler y projetait.

Dmitry Sitkovetsky se garde bien de reproduire la sonorité ailée, le son noble et pourtant un peu fantasque si particulier à Kreisler (et qui le faisait tant apprécier de Rachmaninov), non, il joue à plein archet Le trille du diable, emporte la Danse de La Vida breve avec un panache dont Kreisler se serait certainement gardé, met partout une fantaisie d’accents, de rythmes, de couleurs qui ne déparent jamais ce son de grand violon dont les registres unifiés, la profondeur de mezzo, l’intensité expressive sidèrent tout au long du disque.

Fut-il jamais si proche, par le son, l’élan, la plénitude du violon à l’immense sonorité qui fit la gloire de son père ? Bruno Canino fait mieux que l’accompagner, il lui offre à chaque fois, de Tartini à Falla, de Mozart à Cyril Scott, un style parfait et une invention poétique inspirante.

La même année 1982, le violoniste gravait également les trois Sonates de Grieg, retrouvant sa mère chérie, Bella Davidovich. Ensemble, ils ouvrent le disque avec les contes et les chants populaires de la Deuxième Sonate avant de poursuivre dans les charmes de la Première Sonate où quelque chose de schubertien paraît dès que le discours s’ombre.

Avec eux, le triptyque de Grieg devient aussi intense, aussi poétique, aussi aventureux que celui de Brahms, musique de la nature et des enchantements dans les deux premiers volets, avant que l’appassionato au ton plus légendaire de la Troisième Sonate ne viennent changer la donne.

Alors le piano de Bella Davidovich entraîne le violon de son fils dans un dialogue serré, intense jusque dans les échanges pianissimos. Ce ne sont plus deux instruments, mais un seul chant ténébreux qui se déploie. Qui jouait ainsi cette partition mystérieuse ? Fritz Kreisler et Sergei Rachmaninov.

LE DISQUE DU JOUR

Fritz Kreisler (1875-1962)
Transcriptions pour violon et piano de pièces de Giuseppe Tartini, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Henryk Wieniawski, Johannes Brahms, Piotr Ilitch Tchaikovski, Antonín Dvořák, Cyril Scott, Isaac Albéniz, Manuel de Falla

Dmitry Sitkovetsky, violon
Bruno Canino, piano
Un album du label Orfeo C048831A
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Edvard Grieg (1843-1907)
Sonate pour violon et piano No. 1 en fa majeur, Op. 8
Sonate pour violon et piano No. 2 en sol majeur, Op. 13
Sonate pour violon et piano No. 3 en mi mineur, Op. 45

Dmitry Sitkovetsky, violon
Bella Davidovich, piano
Un album du label Orfeo C047831A
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Photo à la une : le violoniste Dmitry Sitkovetsky – Photo : © DR