Adieux Sommeil, adieux monstre : en choisissant la version remaniée par Rameau pour la reprise de son Dardanus à L’Académie Royale de Musique en mai 1744, György Vashegyi se prive d’un quatrième Acte qui avait provoqué le saisissement du public découvrant, à Garnier, dans les décors noirs du spectacle réglé par Jorge Lavelli, un ouvrage devenu rareté, contrairement aux Indes galantes ou Hippolyte et Aricie. Mais il ajoute au complet le grand Prologue qui paraît l’œuvre en avril de la même année, ainsi que quasiment dans son intégralité le Divertissement du 5e Acte</eme où paraissent les Grâces, les Jeux et les Plaisirs.
Pari qui aurait pu être risqué, Rameau se concentrant sur l’intrigue amoureuse et les passions contrariées en renonçant au merveilleux des scènes lullystes, il faut alors mettre dans les récits, dans tout ce qui en Dardanus s’approche au plus près de l’ancienne tragédie lyrique, une tension, et surtout une attention de tous les instants.
Secret de cette nouvelle proposition, une distribution éclatante dominée par le Dardanus de Cyrille Dubois, qui ressuscite la haut-ténor à la française, lui donnant du brio, de l’ardeur, mais aussi une épaisseur lyrique qui saisit dans la scène de la prison. Ah !, son Lieux funestes est déjà anthologique, et évoque par la grâce vocale un ténor proche de celui d’Eric Tappy. Entre temps, celui qui faisait merveille dans les manécanteries de Caen durant ses années de culottes courtes, se sera approprié Tamino, on entend dans son Dardanus si porté, aux lignes si instrumentales, une augmentation sensible des qualités de son art.
Le reste des protagonistes est tout aussi exemplaire, la Vénus impérieuse de Chantal Santon Jeffery, l’Iphise complexe de Judith van Wanroij (en grande voix), Thomas Dolié caractérisant avec art Teucer et Isménor, Clément Debieuvre, impeccable Arcas, l’autre palme superlative revenant à l’Anténor expressionniste de Tassis Christoyannis qui ose rompre les canons du style pour faire saillir le personnage : écoutez son saisissant Amour, cruel auteur du feu qui me dévore.
Chœur ardent, expressif, fusant, au français de plus en plus saillant, grand orchestre plein d’éclats et d’ombre (les Enfers !), György Vashegyi serait-ll en train de signer, après Les Fêtes de Polymnie et Les Indes galantes, le nouveau cycle Rameau trop longtemps espéré depuis celui de Marc Minkowski ? Leurs Dardanus respectifs se jaugent et se complètent. Et si demain, György Vashegyi et aussi Cyrille Dubois changeaient de registre ? Platée leur tend ses petites pattes…
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Dardanus, RCT 35 (1744)
Judith van Wanroij, soprano (Iphise, L’Amour)
Chantal Santon Jeffery, soprano (Vénus, une Phrygienne)
Cyrille Dubois, ténor (Dardanus)
Thomas Dolié, baryton (Teucer, Isménor)
Tassis Chrystoyannis, baryton (Anténor)
Clément Debieuvre, ténor (Arcas)
Purcell Choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, direction
Un album de 3 CD du label Glossa GCD924010
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Photo à la une : © DR