« Le chant ou la nuit » ? Otto Klemperer, dans son disque radical qui, à l’époque où l’œuvre n’était guère enregistrée, valait pour manifeste, choisissait la nuit d’un geste ample au noir d’encre. Claudio Abbado, lui, choisira le chant, animant l’œuvre de sa battue lyrique pour mieux l’inonder d’un ardent soleil de minuit.
Osmo Vänskä avoue dès le Langsam initial qu’il sera proche de Klemperer, la battue alentie en moins, mais les mêmes couleurs, les mêmes creusements, le même noir, et dans les Nachtmusik, non pas cette poésie de sérénade égarée, mais un précis de timbres qu’il s’ingéniera à décortiquer pour y trouver les prémices des Symphonies de chambre de Schönberg.
Lecture au sens strict du terme, et admirable par sa concentration jamais pesante, l’abrasion des timbres des musiciens du Minnesota participant au premier chef à l’étrange poésie sonore qui étreindra même le charivari du Rondo : c’est qu’Osmo Vänskä maîtrise le temps mahlérien comme peu depuis Klemperer, affaire non pas de tempo, mais de tactus, respirer dans la rigueur, exprimer jusque dans l’abstraction.
On cherchera le lyrisme sous d’autres baguettes, d’ailleurs sa vision de la 10e Symphonie obéit aux mêmes préceptes d’économie, voir de raréfaction. Cette fois, ce n’est plus la nuit étoilée, mais bien celle du tombeau. Il ne voudra pas en faire cette longue succession d’adieux que Deryck Cooke résumera à la coda générale de l’œuvre par cette mélodie de flûte notée comme en apesanteur par Mahler, qui est d’abord une ouverture, une manière de ne surtout pas conclure.
Non, deux monolithes énigmatiques encadrent les trois scherzos vifs, coupants, nets, sans ombres, vraies eaux-fortes sonores, l’économie du vibrato du quatuor à cordes donnant à l’Adagio et au Langsam, schwer, des nettetés âpres.
Minéral, quasi lunaire, le grand paysage d’au-delà se déploie, entrînant l’auditeur loin dans la psyché du compositeur, sommet d’une intégrale décapante où ne manquent plus que les 3, 8 et 9, en espérant que Robert von Bahr demandera à Osmo Vänskä de (re)graver aussi Le Chant de la terre.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 7, « Le Chant de la nuit »
Minnesota Orchestra
Osmo Vänskä, direction
Un album du label BIS Records 2386
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Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 10 (troisième édition de la proposition de Deryck Cooke)
Minnesota Orchestra
Osmo Vänskä, direction
Un album du label BIS Records 2396
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Photo à la une : le chef d’orchestre Osmo Vänskä – Photo : © Joel Larson