Lorsque je demandais à Georges Sébastian qui avait été le plus grand Tristan, il me répondit du tac au tac : « Burian, Karel Burian ». Il n’avait pas eu la chance de le diriger, contrairement à Melchior, Lorenz ou Suthaus, mais gamin, il l’avait vu en scène à l’Opéra de Budapest et gardait intact le souvenir de sa voix immense. On la retrouve parfaitement captée par le cornet acoustique qui en conserve intact le grain à la fois solaire et sombre.
Mais Karel Burian, s’il fut le ténor wagnérien absolu du début du siècle – quatorze plages documentent son Tannhäuser, son Lohengrin, son Siegmund, son Siegfried historique du Götterdämmerung et même son Stolzing (fantastique « Fanget an ! »), Tristan qui ne détache guère d’air ne paraît que par le récit de l’Acte III, et quel ! – pouvait tout chanter comme aimait à le proclamer Caruso qui voyait en lui presque plus que son égal. Il faut entendre comment il sait mettre soudain une teinte italienne à son Rodolfo de La Bohème – et sa Mimi est l’ange Mimmie Nast ! – et quelle ligne de belcanto il met à son Alvaro de La Forza del destino, ou son Paillasse.
Tout son répertoire ne tient pas dans ces trois disques qui rassemblent son héritage phonographique, mais certains rôles où il fut simplement indépassable en son temps sont assez bien documentés, surtout son Max du Freischütz, son impertinent Fra Diavolo et son Werther si noblement chanté. Le répertoire national n’est pas oublié, Dalibor bien sûr, où il laissa un modèle que tous les ténors tchèques suivirent, mais aussi les mélodies populaires où la voix se fait fraîche, et les romances de Novotny, Neumann ou Fibich. Karel Burian savait aussi chanter avec les idiosyncrasies stylistiques de son époque qui rendent délicieux et un rien suranné son Lensky que Kozlovsky n’eut pas répudié.
L’histoire de cette édition est un serpent de mer, Supraphon avait dès le microsillon envisagé de publier l’intégrale des enregistrements de Karel Burian, projet maintes fois ajourné, les 78 tours étant rares, et plus encore difficile à se procurer en bon état de lecture. Mais voici enfin l’œuvre achevée, les transferts sont parfaits, l’édition soignée, le livret documenté, j’applaudis et je me remets une fois encore « Wohin nun Tristan scheidet ».
LE DISQUE DU JOUR
Karel Burian
The Complete Recordings,
1906-1913
CD 1
Airs d’opéras de Wagner (Tannhäuser, Lohengrin, Die Walküre, Götterdämmerung, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg), Smetana (Dalibor), Kovařovic (Psohlavci)
CD 2
Airs d’opéras de Weber (Der Freischütz), Auber (La Muette de Portici, Fra Diavolo), Verdi (La forza del destino), Tchaikovski (Eugene Onegin), Dvorák (Dimitrij), Kienzl (Der Evangelimann), Massenet (Werther), Puccini (La Bohème) et Leoncavallo (I Pagliacci)
CD 3
Mélodies populaires et traditionnelles tchèques
Lieder de Strauss, Nedbal, Vymetal, Picka, Novotny, Malat, Tregler, Jindrich, Fibich, Neumann et Edwards
Karel Burian, ténor
Erika Wedekind, soprano
Minnie Nast, soprano
Bedřich Plaške, baryton-basse
Un coffret de 3 CD du label Supraphon SU 4287-2
Acheter l’album sur le site du label Supraphon, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : © DR