Un château en ruine ? Un appartement moderne. La nuit ? Des néons. Des portes ? Une analyse. Susanna Mälkki prend à la lettre le texte de Béla Balázs, en ôte le décor pour mieux en cerner les mots. Dans les sonorités sourdes, un peu rêches, de son orchestre finlandais, elle conduit le couple maudit à se dévoiler au long d’une thérapie méticuleuse, implacable, dosant les sonorités insidieuses des bois (cette clarinette…), réglant le crépuscule permanent d’un drame qui se joue paradoxalement en pleine lumière.
Le projet, radical, pourra en perdre plus d’un en route, Barbe-Bleue n’est plus cette basse abyssale, mais un baryton-basse (qui d’ailleurs ne fait pas les graves que Bartók ajouta pour Mihály Székely) qui chante dans le clair trompeur de son instrument ; Judith, elle aussi, allège son mezzo, le colore en soprano, souple, ductile, et immédiatement conquérant. Dès les premiers échanges, c’est elle qui mène le jeu, quitte à le perdre.
Radiographié, l’orchestre l’est, et l’ouvrage lui-même jusque dans les bruitages minimalistes des ouvertures des portes. Ce dévoilement progressif, implacable, dont les émotions sont absentes, est absolument monstrueux jusque dans l’absence d’effets, vaste thrène de gris colorés où tout espoir disparaît après le ruissèlement des bijoux traité comme une musique de pure hypnose.
Cette lecture radicale fait entrer l’œuvre de plain-pied dans le XXIe siècle, et soudain la modernité d’un ouvrage qu’on aura trop souvent cru d’abord symboliste éclate, dans sa tranquille horreur.
LE DISQUE DU JOUR
Béla Bartók (1881-1945)
Le Château de Barbe-Bleue, Op. 11, Sz. 48, BB 62
Szilvia Vörös, mezzo-soprano (Judith)
Mika Kares, basse (Barbe-Bleue)
Géza Szilvay, récitant
Heksinki Phiharmonic Orchestra
Susanna Mälkki, direction
Un album du label BIS Records 2388
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Photo à la une : le chef d’orchestre Susanna Mälkki – Photo : © DR