Lorsque les phrasés longs, les soupesés et les rinceaux des Tendres plaintes résonnent emplis de lumière, je me surprends à soupirer après ce clavecin. Mais oui c’est bien celui du Château d’Assas avec ses deux claviers et ses sonorités si profuses. Sorti des ateliers de Donzelague ou pas (le doute, minime, subsiste), existe-t-il de plus bel instrument pour Rameau, brillant et coloré comme sa musique ?
Justin Taylor, même s’il n’en souffle mot dans le joli entretien du livret, rendrait-il hommage à Scott Ross ? C’est probable. Il note trouver à cette belle caisse des clairs obscurs, ce que le programme virtuose ne souligne pas, mais par contre l’ampleur de son jeu rappelle justement celui que Scott Ross mis à ses Cyclopes, aux Allemandes, à son Rappel des oiseaux. Le jeu homme partage avec son aîné, qu’il n’aura pas connu, l’art d’un jeu qui délivre le clavecin du son court, ce que comme chez Bach la complexité polyphonique de Rameau autorise.
Paysager les pièces parmi les plus saillantes du grand Rameau avec celles de ses fils ou neveu illustre le fossé qu’il y a entre le génie et le talent, le jeu vaut ici un peu moins que pour les Forqueray qu’il avait illustré avec un album du même principe, mais il ne faut pas bouder son plaisir même si j’eusse préférer qu’il nous délivre en place l’intégrale des Pièces et des Suites, et aussi dans ses transcriptions si inspirées toutes les Pièces de clavecin en concerts : écoutez seulement comment il s’approprie La Rameau, panache et élan qui rendent les difficultés invisibles.
Hors Rameau (et hors famille), vous courrez aux Variations de Tapray sur Les Sauvages, feux d’artifices de pur plaisir virtuose où il envole ses claviers, et chez Rameau dont tout ici est merveilleux, la construction savante de la Gavotte, la fantaisie des Doubles montrent un éclatant alliage de maturité et de jeunesse, de poésie et d’ardeur. Comme cela chante avant de danser !
Coda ailleurs, du brillant on passe au sombre : les moirures du bel Erard où Justin Taylor dessine la stèle que Debussy offre à Rameau donnent envie de l’entendre plus avant dans ce répertoire. Le crescendo central, dit comme une protestation, la lumière étrange de toute la seconde partie avec ses divagations harmoniques, dévoilent de troublantes affinités électives.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Suite en ré majeur, RCT 3
(2 extraits : I. Les tendres plaintes, VIII. Les cyclopes)
La Rameau (No. 3, du « IVe concert, RCT 10 », extrait des « Pièces de clavecin en concerts »)
Suite en sol majeur, RCT 6
(3 extraits : V. La Poule, VI. Les triolets, IX. L’Egyptienne)
Suite en mi mineur, RCT 2 (2 extraits : I. Allemande, IV. Le rappel des oiseaux)
Suite en la mineur, RCT 1 (2 extraits : II. Allemande, IV. Courante)
Suite en la mineur, RCT 5 (2 extraits : III. Sarabande, VII. Gavotte et 6 Doubles)
Claude Rameau (1689-1761)
Menuet barosais
Jean-François Tapray (1738-1819)
Les Sauvages avec des Variations pour le clavecin
Claude-François Rameau (1727-1788)
La Forcray (No. 4, extrait de la « Première Suitte »)
Lazare Rameau (1757-1794)
Sonate en mi majeur, Op. 1 No. 1 (extrait : III. Rondo grazioso)
Claude Debussy (1862-1918)
Images pour piano, Cahier 1, L. 105 (extrait : II. Hommage à Rameau)
Justin Taylor, clavecin (clavecin du Château d’Assas, ca. 1730), pianoforte (Piano Érard 1891 – Collection du Musée de la Musique)
Un album du label Alpha 721
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Photo à la une : le claveciniste Justin Taylor – Photo : © DR