Les tiendrait-on enfin ces nouvelles lectures des deux Apothéoses de Couperin que l’on espérait depuis le geste généreux et tendre qu’y infusaient Jordi Savall et Hespèrion XX en 1985?
Amandine Beyer et ses Inconnus y mettent toute une grammaire précise et inspirée à la fois. La diversité des coups d’archets, la légèreté de leur soyeux, l’imagination descriptive sont partout, modelées, phrasées, chantées, dansées. On admire le tombeau vivant qu’ils font à Lully peint dans son théâtre où la rumeur des conspirateurs envieux puis leurs plaintes déconfites font une scène d’opéra en miniature.
Car c’est bien cette quadrature du cercle qu’ont réalisée Gli Incogniti, d’évoquer et Lully et Corelli mais en laissant parler d’abord Couperin. L’imaginaire tendre ou sarcastique des pièces de clavecin n’est jamais loin, on reste dans l’intime, la musique n’en prend que plus d’éloquence. Et la beauté des timbres, de bout en bout, illumine ces deux portraits.
Pour Corelli, Amandine Beyer insiste sur ce mélange des goûts, distingue dans l’allant du discours l’italien et le français, faisant assaut de techniques diverses, non plus une langue, mais des langues, se répondant, dissertant. Il y a derrière la danse, omniprésente, comme une pensée, une réflexion sur la fin d’un monde – celui de la grande école des clavecinistes suivant celui déjà presque englouti des violistes – et l’avènement d’un nouvel univers où le violon sera roi.
Le surgissement aussi d’un style tout à fait différent. Ce qui, dans l’Apothéose de Lully, célébrait une union, devient dans l’Apothéose de Corelli une constatation admirative devant le nouveau goût ultramontain. La Superbe et La Sultane sont dites avec les mêmes mots précis, les mêmes notes mordorées, la même touche de fin soleil.
Savall ne renierait pas cette manière à la fois intense et élégante, cette échelle dynamique savamment pesée, Beyer et ses amis y ajoutent une science, un savoir, une pratique instrumentale qui montrent à quel point en bientôt trente ans le temps des pionniers, même si ceux-ci nous parlent toujours, a cédé la place au temps des éclairés.
LE DISQUE DU JOUR
François Couperin (1668-1733)
Concert instrumental sur le titre d’Apothéose composé à la mémoire immortelle de l’incomparable Monsieur de Lully,
Le Parnasse ou l’Apothéose de Corelli (Grande Sonade en trio),
La Superbe (Sonate en trio),
La Sultane (Sonate en quatuor)
Gli Incogniti
Amandine Beyer, direction
1 CD Harmonia Mundi HMC902193
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Photo à la une : (c) DR