La voix était modeste de volume, le placement parfait ne le laissait pas entendre, l’instrument long, miellé, avec dans le timbre cette légère fêlure qui est le signe des chanteurs venus des marges de l’Empire, vouait naturellement le jeune homme à Mozart, et c’est en Mozart qu’il fera ses premiers pas sur la scène de l’Opéra de Vienne en 1936, Premier Homme armé. Böhm le promouvra en Tamino lors d’une légendaire représentation de la Zauberflöte en 1944, conquérant avec presque trop d’ardeur la Pamina sublime d’Irmgard Seefried. Quel couple !, par lequel commence quasiment ce portrait du plus viennois des ténors d’après-guerre.
Les rôles mozartiens se succèdent au long des années cinquante, Don Ottavio (en allemand, pour la réouverture du Staatsoper, soirée incendiée par Böhm), Ferrando surtout, avec encore Seefried et toujours Böhm, le David des Meistersinger s’y ajoute, où il donne le tempo à Knappertsbuch qui le suit, visiblement émerveillé. Puis Böhm lui demande pour son nouveau Fidelio d’abandonner Jacquino et d’oser Florestan. On est en 1955, la voix se mesure à ce défi avec ardeur sans oublier le style, comme à revers de l’expressionisme d’un Patzak.
Karl Böhm le mènera à Richard Strauss, ce que l’album ne documente que par un Flamand de 1960 (on aimerait qu’Orfeo publie l’intégralité de la soirée qui alignait entre autres Schwarzkopf, Berry et Schöffler), reprenant, pour compléter cette part de son répertoire, dans les disques son Chanteur italien pour Erich Kleiber et son Matteo pour Solti. Grande sélection dans l’Onéguine de Tchaikovski, illustrant son Lenski, rôle qui lui fut longtemps attitré à Vienne, ici vous trouverez la présentation d’Eugène Onéguine en 55 (avec Rysanek et London), l’air et le duel avec Onéguine (Fischer-Dieskau) en 1961 (Matačić).
Puis viendra le temps des emplois de composition, toujours pris dans Onéguine, cette fois les couplets de Monsieur Triquet dans un français éblouissant et avec un style fou, plus étonnant encore, son Sinovi pour la Lady Macbeth d’Inge Borkh (là encore une publication de la soirée intégrale serait un bonheur, nonobstant la traduction allemande). Sensiblement de la même époque (1970), une de ses incarnation majeures, Palestrina, dirigé avec art par Swarowsky.
Ce sera Tamino qu’il choisira pour dire adieu, le dialogue avec le Sprecher : la voix semble intacte, bouclant la boucle d’une vie dévouée à l’Opéra de Vienne.
LE DISQUE DU JOUR
Anton Dermota
Live Recordings,
1944-1981
Œuvres de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Hans Pfitzner (1869-1949), Dmitri Chostakovitch (1906-1975), Richard Strauss (1864-1949), Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893), Richard Wagner (1813-1883)
Anton Dermota, ténor
Inge Borkh, soprano
Lisa della Casa, soprano
Sena Jurinac, soprano
Leonie Rysanek, soprano
Elisabeth Schwarzkopf, soprano
Irmgard Seefried, soprano
Rita Streich, soprano
Hilde Rössel-Majdan, contralto
Fritz Uhl, ténor
Walter Berry, baryton
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton
Erich Kunz, baryton
Paul Schöffler, baryton
George London, basse
Ludwig Weber, basse
Wiener Philharmoniker
Wiener Staatsoper
Serge Baudo, direction
Karl Böhm, direction
Wilhelm Furtwängler, direction
Erich Kleiber, direction
Hans Knappertsbusch, direction
Lovro von Matačić, direction
Thomas Sanderling, direction
Sir Georg Solti, direction
Un album de 2 CD du label Orfeo C6831021
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Photo à la une : © DR