2 Octobre 1961, Georg Solti lève sa baguette sur sa première Walkyrie londonienne. Quelle soirée ! En 1958, Solti avait posé à Vienne la première pierre de sa Tétralogie Sonic Stage, un Or du Rhin qui fit couler beaucoup d’encre et enthousiasma la critique britannique. John Culshaw, le producteur de Decca, y avait invité le théâtre au studio, et quel théâtre ! ardent, brillant réunissant une troupe où de grands anciens côtoyaient les chanteurs de la jeune génération.
La Fricka de Kirtsen Flagstad y donnait la réplique au Wotan de George London ! Prochain défi, Siegfried, qui s’enregistrait justement en 1962. Entre temps, Solti avait fait sa première apparition à Covent Garden en décembre 1959, dirigeant le Rosenkavalier en allemand : on ne l’avait plus entendu dans sa langue originale à Londres depuis 1938 ! Rafael Kubelik avait renoncé à ses fonctions de directeur musical, la route était libre : Solti serait le prochain patron du Covent Garden. Un fabuleux Midsummer Night’s Dream de Britten avec la troupe pour le Festival d’Edimbourg, une Iphigénie en Tauride, vrai marbre vivant où Rita Gorr laissa dubitatif, n’étaient que des préludes au grand œuvre de cette Walkyrie qui transporta l’auditoire de Convent Garden.
Solti y avait retenu les leçons de Culshaw, rendant son orchestre aussi fulgurant, aussi mordant que possible, quitte à abuser du jeu sostenuto, en faisant un saisissant personnage dramatique, à cent lieux du geste quasi philosophique auquel Rudolf Kempe, dépositaire du Ring à Londres, avait habitué son public. Il y opérait aussi ce mariage des générations qui produisit un choc révélateur. Hans Hotter, qui signait la mise en scène, reprenait son Wotan, hautain et tendre à la fois, impérieux et hanté, comme si derrière le Wanderer se glissait l’ombre du Hollandais, et la Brünnhilde d’Anita Välkki lui répondait, ardente, aimante, audacieuse.
C’est d’ailleurs d’abord pour elle que cette soirée depuis longtemps disponible par les circuits parallèles acquit sa réputation. L’art de la soprano finlandaise ne fut guère documenté au disque, qui n’eut en fait pas le temps de s’en saisir : Floria Tosca à Stockholm en 1960, elle quittait la scène au début des années soixante dix, s’étant imposée en dix ans comme une wagnérienne de premier ordre.
La voix haut placée dans le masque, le soutien précis, l’émission claire mais pleine, tout indiquait l’appartenance de cette voix à l’école nordique qui donna tant de grandes wagnériennes. Les jumeaux sont juvéniles à souhait : Vickers au chant encore souple exalte son Siegmund, Claire Watson illumine sa Sieglinde et Michael Langdon rugit son Hunding. Mais l’autre révélation de la soirée fut la Fricka tragédienne à souhait de Rita Gorr – la vraie scène qu’elle fait à Wotan ce soir là est simplement anthologique.
Et Solti allège l’orchestre de Wagner, se souvient des leçons de Clemens Krauss, impose partout un impact dramatique certain : le feu magique peut bien scintiller, ce soir là le Walhalla flambait et l’incendie gagnait tout Covent Garden. La restitution parfaite qu’en propose Testament permet enfin de prendre la mesure de ce nouveau Wagner que le Hongrois révélait à son public pour mieux le conquérir définitivement.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Wagner (1813-1883)
La Walkyrie (Die Walküre)
Jon Vickers, ténor (Siegmund)
Claire Watson, soprano (Sieglinde)
Michael Langdon, basse (Hunding)
Hans Hotter, basse (Wotan)
Anita Välkki, soprano (Brünnhilde)
Rita Gorr, soprano (Fricka)
Les Walkyries: Marie Collier (Gerhilde), Julia Malyon (Ortlinde), Margareta Elkins (Waltraute), Joan Edwards (Schwertleite), Judith Pierce (Helmwige), Noreen Berry (Siegrune), Maureen Guy (Grimgerde), Josephine Veasey (Roßweiße)
Chœur & Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden
Sir Georg Solti, direction
1 coffret 4 CD Testament SBT41495
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Photo à la une : (c) DR