Minimaliste Mad Rush ? L’extension d’une formule à la dimension d’un courant océanique illustre bien le paradoxe qui aura engendré une grande part de la création musicale américaine de la seconde moitié du XXe siècle, si différemment « savante ». L’Ouest et l’Est s’y rencontrent, ouvrant de nouveaux horizons sonores, d’abord aux Européens, si occupés par une autre confrontation, celle du Nord et du Sud, les océans d’un côté, de l’autre la Méditerranée.
Le plus étonnant avec cet album est bien qu’il émane d’un jeune homme d’abord compositeur – écoutez sa Sonate à la fin de l’album – né dans une ancienne annexe de l’U.R.S.S. (où, il est vrai, Kapustin avait « soviétisé » le jazz, à moins que ce ne soit l’inverse…). Mais comment expliquer, sinon déjà par ce regard d’Est en Ouest, que l’Intrada de la Sonate de Griffes, composée durant la Première Guerre mondiale, proclame, découle si naturellement des ultimes mesures de Mad Rush ?
Griffes, en héritier des Parnassiens décadents, était comme eux fasciné par l’Orient, sa Sonate en est pétrie et jusque dans une certaine divagation d’opiomane que Shimkus saisit avec une quasi dilection. Son piano rêve et mord, nuage ou naja selon, fabuleuse version d’un univers aussi ouvert et aussi obsessif que celui de Philip Glass.
Carter complique les choses, le fluide l’agace, Stravinski est passé par là, il lui faut de la rupture qui lui vaudra pour éclats. Le poignet s’abat sur un clavier qui répond fouetté pour Intermitences, l’œil de compositeur de Shimkus fait que le tout, avec l’affolement de Caténaires, ne dure pas plus que possible.
Autrement envoûtant est le ciel harmonique nuageux de Processional. Comme George Crumb peut être un debussyste incurable !
Le vol de noctuelles qui ouvre Gaismas gardien talu dans un gamelan avec rossignol montre bien la filiation sonore de l’univers de Vestard Shimkus avec celui de George Crumb, Ravel, le Ravel des Miroirs y ajoute son mystérieux cosmos. L’œuvre est de bout en bout un envoûtement, lire le texte de l’interprète donnera quelques clefs, l’entendre dégondera les portes de ce disque ouvert sur un certain infini.
LE DISQUE DU JOUR
Philip Glass (né en 1937)
Mad Rush
Charles Tomlinson Griffes (1884-1920)
Sonate pour piano, A. 85
Elliott Carter (1908-2012)
Two Thoughts About the Piano
George Crumb (né en 1929)
Processional
Vestard Shimkus (né en 1984)
Sonate pour piano, « Light Years Away »
Vestard Shimkus, piano
Un album du label Artalinna ATL-A031
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Photo à la une : le pianiste letton Vestard Shimkus – Photo : © Jean-Baptiste Millot