Le trésor le mieux caché de Roumanie

Le 24 septembre dernier, Valentin Gheorghiu était honoré d’un titre qu’il n’espérait probablement plus : on venait de créer à l’Académie Roumaine un fauteuil supplémentaire, Gheorghiu serait enfin membre de l’illustre institution. Honneur majeur mais venu bien tardivement. A quatre-vingt six ans, le plus musicien des pianistes roumains de sa génération, également virtuose et poète, est resté cet homme modeste, d’une simplicité désarmante derrière ses manières de grand seigneur.

Son amour du retrait, son peu de goût pour la vie sociale ont vite eu raison de la brillante carrière qui s’ouvrait à lui après-guerre. Il fut un temps un des espoirs d’His Master’s Voice, mais peu enclin au confinement du studio, son contrat fit long feu. Au concert par contre, il rayonna, que ce soit en récital ou avec orchestre, s’attachant l’amitié de Rafael Kubelik : une mémorable Rapsodie Paganini de Rachmaninov en témoigne, que la Radio Bavaroise serait bien inspirée d’éditer.

Ses disques se firent de plus en plus rares. His Master’s Voice ne réédita jamais les quelques précieux microsillons des années cinquante, les difficultés majeures et la diffusion chaotique du label national roumain, Electrecord, laissèrent ses enregistrements longtemps confidentiels : il fallait faire le voyage de Bucarest pour se les procurer !

Seul réapparaissait régulièrement les deux Concertos de Mendelssohn gravés par Eterna, juste de quoi ne pas oublier totalement le modèle de toute la génération de pianistes roumains que l’on admire, de Dan Grigore à Andrei Vieru en passant par Radu Lupu. Quelle injustice ! Réparée trop discrètement par une généreuse édition publiée à l’occasion des quatre-vingts ans du pianiste.

Dix CD pas moins, compilés par Electrecord à partir d’enregistrements de studio ou de concert, couvrant l’essentiel du répertoire de l’artiste et réuni en une box dont les livrets abondent en témoignages et en documents. L’ancien élève de Lazare Lévy possède un des plus beaux touchers qu’on ait croisés, toujours plein, rond, jamais agressif. Pour lui, l’art de timbrer est l’essence même du piano.

Mais son sens de la forme, la clarté de son jeu même dans la plénitude polyphonique – il faut l’entendre dominer les maelstroms sonores du Premier de Brahms – une pudeur et un art de chanter sans ostentation sont omniprésents tout au long de cette somme. Sujet, le grand répertoire romantique, Beethoven (4e Concerto si lumineux, si réflexif, Pathétique très grand style), Schumann (une Fantaisie parfaite), Schubert, Mozart, Liszt (sa Sonate est demeurée justement célèbre), Chopin, quelques concessions au répertoire national : un ensemble prodigieux qui permet de retrouver également les gravures mythiques sous la baguette de George Georgescu, où pas une faiblesse ne paraît et qui affirme un art rayonnant de simplicité. L’évidence.

On complétera cette somme avec l’œuvre pour violon et piano d’EnescoValentin Gheorghiu met son incroyable palette de timbres dans le violon si tenu de Sherban Lupu. On se repasse en boucle leurs Impressions d’enfance depuis qu’on les connaît.

LE DISQUE DU JOUR

valentincomplete
Valentin Gheorghiu
The Electrecord Recordings
Œuvres de Beethoven, Brahms, Chopin, Franck, Grieg, Liszt, Mendelssohn, Mozart, Rachmaninov, Schubert, Schumann, Weber, etc.
Un coffret de 10 CD du label Electrecord EDC836/845

valentinenescoGeorges Enesco (1881-1955)
Caprice roumain, pour violon et orchestre
Impressions d’enfance, pour violon et piano, Op. 28
Sonates pour violon et piano Nos. 2 & 3, Opp. 6 & 25

Valentin Gheorghiu, piano
Sherban Lupu, violon
Orchestre Philharmonique « Georges Enesco » de la Ville de Bucarest
Christian Mandeal, direction
Un album de 2 CD Electrecord EDC324/325

Photo à la une : (c) DR