Willem Mengelberg la dirigeant à Budapest en 1943 fut soufflé : belle fille certes, mais d’abord un violon si parfaitement joué, avec cette pointe de paprika, une pure fantaisie dans les accents, un archet très libre tel celui des ménétriers de sa Transylvanie natale.
Peu après elle s’exile, fuyant la montée des Nationalistes hongrois. Apatride comme tant d’autres de ces Hongrois de Roumanie, elle s’installe en Suisse, remporte en 1947 le Concours de Genève.
À l’avènement du « long playing », Elsa Schiller, muse de Deutsche Grammophon, lui fait graver quelques pièces de virtuosité puis deux concertos : le 4e de Mozart avec Jochum, parfait de style, d’expression pudique, et le Dvořák, piquant mais nostalgique, d’un caractère bien trempé en accord avec la battue fouettée de Fricsay : on n’a pas fait mieux.
Walter Legge, alerté, lui signe un contrat. Cadeau de noces, le Concerto de Brahms avec son Philharmonia et Kletzki. Résultat : magie pure, un archet infini, des phrasés affirmés (Hubay avait dû les lui souffler) ; jamais le Finale ne fut si hongrois et pourtant si peu appuyé.
La poignée d’enregistrements qu’elle concéda à His Master’s Voice suffira à faire son art légendaire, et ses long playing la lubie des collectionneurs. Après ce Brahms d’anthologie, rien que du grand répertoire classique, le Mendelssohn deux fois, surtout le 3e Concerto de Mozart où l’on croirait entendre dans l’Andante La Comtesse des Noces (Sawallisch n’y est pas pour peu).
Legge avait rendu les armes, Martzy lui avait fait comprendre qu’elle seule était maîtresse à bord, par l’art, mais aussi par le carnet de chèques. Elle enregistrerait ce qu’elle voulait, et d’abord les Sonates et Partitas de Bach, l’Évangile d’Enesco puis de Menuhin, qu’aucun archet féminin n’avait osé aborder au disque. Lecture claire, ardente, qui fait tout entendre de ce violon polyphonique.
Puis, délivré absolument de Legge, pour Electrola, tout ce que Schubert aura écrit pour le violon et le piano, ensemble resté magique, plus proche du ton si humain d’un Busch que de ceux qui s’y risqueront ensuite.
Tout cela n’avait pas été réuni depuis un ancien coffret Toshiba réservé au marché japonais, l’éditeur proposant ici une nouvelle mouture sonore conçue par Art et Son Studio qui rend plus sensible ce jeu ardent, son art étant admirablement détaillé par la plume de Nicolas Derny dans un essai qui fera date.
LE DISQUE DU JOUR
Johanna Martzy
Her Columbia Grammophone Recordings
The Complete Warner Classics Edition
CD 1
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Philharmonia Orchestra – Paul Kletzki, direction
CDs 2-4
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Les Sonates et Partitas pour violon seul (Intégrale)
Sonate No. 1 en sol mineur, BWV 1001
Partita No. 1 en si mineur, BWV 1002
Sonate No. 2 en la mineur, BWV 1003
Partita No. 2 en ré mineur, BWV 1004
Sonate No. 3 en sol majeur, BWV 1005
Partita No. 3 en mi majeur, BWV 1006
CD 5-7
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour violon et piano en ré majeur, D. 384
Sonate pour violon et piano en la mineur, D. 385
Rondeau brillant pour violon et piano en si mineur, D. 895
Fantasie pour violon et piano en ut majeur, D. 934
Sonate pour violon et piano en sol mineur, D. 408
Sonate pour violon et piano en la majeur, D. 574 « Grand Duo »
Jean Antonietti, piano
CD 8
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en mi mineur, Op. 64
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Romance pour violon et orchestre No. 1 en sol majeur, Op. 40
Romance pour violon et orchestre No. 2 en fa majeur, Op. 50
Philharmonia Orchestra – Paul Kletzki, direction
CD 9
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 3 en sol majeur, K. 216
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en mi mineur, Op. 64
Philharmonia Orchestra – Wolfgang Sawallisch, direction
Johanna Martzy, violon
Un coffret de 9 CD du label Warner Classics 0190296488573
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Photo à la une : la violoniste Johanna Martzy – Photo : © Warner Classics