De Zoroastre on ne connaissait au disque (et ailleurs également) que la version remaniée (1756). Rameau aura fini par envisager de remettre l’ouvrage sur le métier après les sévères critiques que sa musique aura essuyées : « long, sec, noir et dur », les plumes les plus revêches assurèrent que l’ouvrage était à l’image physique de son compositeur.
Jugement sévère, mais justifié ? Sur le livret tout en transparences maçonniques de Louis de Cahuzac, Rameau aura écrit un de ses ouvrages les plus radicaux, repoussant les ariettes pour mieux faire progresser dans de grandes ligne l’action dramatique, creusant le son de son orchestre où les clarinettes et les bassons mettent leur sombres éclats, donnant à chaque acte – trois des cinq diffèrent largement de ceux de la version définitive – une intensité expressive saisissante. Point culminant, l’immense diablerie de l’Acte IV, avec ses imprécations et ses déchaînements, où Rameau retrouve le génie harmonique qu’il avait déployé pour Les Enfers d’Hippolyte et Aricie.
Le combat du bien contre le mal, l’imaginaire royaume de Bactriane, la baguette magique partagée entre Abramane et Erinice, le personnage mystique de Zoroastre, tout cela se retrouvera sous des masques pas si lointains dans La Flûte enchantée.
Comme pour sa stupéfiante résurrection d’Acanthe et Céphise (voir ici), Alexis Kossenko darde son orchestre, en déploie avec un appétit féroce les ardentes symphonies, les ballets si inventifs, et poétise le sublime lever de soleil de l’Acte II, les amants solaires sont parfaits, ténor de miel de Van Mechelen, Amélite brillante à la vocalise de Jodie Devos qui n’oublie pas de soigner son médium, les sorciers évitent toute caricature, Véronique Gens donnant une teinte pathétique à son Erinice, Tassis Christoyannis anoblissant les fureurs d’Abramane, les vignettes sont toutes soignées, avec au sommet La Furie terrible de Mathias Vidal, mais il faut encore une fois saluer le génie dramatique d’Alexis Kossenko, qui opère cette nouvelle révolution ramiste que j’espérais depuis l’ère Minkowski. Par lui, et avec des équipes aussi parfaitement appariées, je veux entendre d’une oreille neuve chacun des ouvrages lyriques du Dijonnais.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Zoroastre, RCT 62
(version princeps, 1749)
Jodie Devos, soprano (Amélite)
Véronique Gens, soprano (Erinice)
Reinoud van Mechelen, ténor (Zoroastre)
Tassis Christoyannis, baryton (Abramane)
Mathias Vidal, ténor (Abénis, Orosmade, Une furie)
David Witczak, baryton (Zopire, Ahriman, Un génie, La Vengeance)
Gwendoline Blondeel, soprano (Céphie, Cénide)
Marine Lafdal-Franc, soprano (Zélise, Une fée, Une furie)
Thibaut Lenaerts, ténor (Une furie)
Chœur de Chambre de Namur
Les Ambassadeurs – La Grande Écurie
Alexis Kossenko, direction
Un coffret de 3 CD du label Alpha Classics 891
Acheter l’album sur le site du label Alpha Classics ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : l’ensemble Les Ambassadeurs et Alexis Kossenko – Photo : © DR