L’âge d’or

Quasi vingt années, et les plus fructueuses, les plus aventureuses aussi, pour John Eliot Gardiner et ses English Baroque Soloists. Michel Garcin fit le voyage à Londres avec Peter Willemoës, Gardiner inaugurait le 15 février 1976 à la Rosslyn Hill Unitarian Chapel sa spectaculaire collaboration avec les Disques Erato.

Premier album pour Purcell, diptyque de la Queen Mary avec un quatuor où brille la jeune Felicity Lott. Mais le saisissement vint du chœur, discipliné et fulgurant, uni dans le mouvement mais dispersant l’émotion dans les voix. Haendel suivra, Dixit Dominus, surtout l’anthem funèbre pour la Reine Caroline, The Ways of Zion do Mourn, si étreignant. Puis… Massenet !, surprise les Scènes pour orchestre au complet, Gardiner les enregistrant pour le centième anniversaire de l’Opéra de Monte-Carlo.

C’était d’emblée avouer le balancement régulier entre l’Angleterre et la France qui réglera une discographie où paraîtront côté continent Couperin, Rameau, Campra, Leclair, Offenbach, Berlioz, Bizet, Chabrier (L’Etoile), Messager (Fortunio !), fruits de ses années à l’Opéra de Lyon, Ravel aussi, marginalement, et hors de France quelques échappées belles chez Monteverdi, Carissimi (Jephté, Jonas, album majeur) et chez Bach, Haendel restant pour l’autre rivage de la Manche un axe majeur, avec quelques pierres angulaires de la discographie qui n’ont pas bougé : Semele, Israël en Egypte, L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato ou Tamerlano.

Partout un théâtre s’anime, si vivant si leste, peut-être plus encore côté français : la révélation des Boréades et toute l’affaire qui s’en suivit ne doit pas masquer un autre coup de tonnerre : la réinvention du Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair pour l’Opéra de Lyon où brille le diamant sombre de la Circé de Rachel Yakar, inoubliable.

Plus peut-être que côté britannique un King Arthur très loué mais que la lecture plus alerte de Trevor Pinnock effaça lors d’une Tribune des critiques de disques, suscitant la surprise de l’auteur de ces lignes. Au rayon Purcell, Hail, Bright Cecilia, The Indian Queen, The Tempest sont autrement essentiels.

Autre cycle, celui consacré à Gluck, moins probant sinon pour l’Iphigénie en Aulide de Lyon, Lynne Dawson en sacrifiée, l’Agamemnon terrible de José van Dam, la Clytemnestre de Anne Sofie von Otter, trio gagnant.

Époque bénie, Gardiner sautant à pieds joints, si ce n’est une anecdotique Grande de Schubert, par-dessus le romantisme qui fera l’essentiel de ses gravures plus tardives pour Archiv.

Par où commencer ? Par O Lord, My God, bouleversant verse anthem de Pelham Humfrey, ce disciple de Purcell disparu à vingt-six ans, où l’art d’un Gardiner qui n’entend pas sacrifier les mots aux notes paraît dans toute son éloquence.

LE DISQUE DU JOUR

John Eliot Gardiner
The Complete Recordings on Erato, 1976-1995

Œuvres de Johann Sebastian Bach, Hector Berlioz, Georges Bizet, André Campra, Giacomo Carissimi, Francesco Cavalli, Emmanuel Chabrier, François Couperin, Henri Duparc, Carlo Gesualdo, Christoph Willibald Gluck, Georg Friedrich Haendel, Jean-Marie Leclair, Jules Massenet, André Messager, Claudio Monteverdi, Jacques Offenbach, Henry Purcell, Jean-Philippe Rameau, Maurice Ravel, Domenico Scarlatti, Franz Schubert, Piotr Ilyitch Tchaikovski, etc.

English Baroque Soloists
Monteverdi Choir
Monteverdi Orchestra
Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo
Chamber Orchestra of Europe
Equale Brass Ensemble

Sir John Eliot Gardiner, direction

Un coffret de 64 CD du label Erato 5054197205514
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Photo à la une : le chef John Eliot Gardiner, dans les années 1980 – Photo : © Warner Classics