Aubaine ! Deutsche Grammophon réunit dans une boîte exemplaire – remarquable livret à l’iconographie abondante assorti d’essais passionnants signés Tully Potter et Markus Kettner, édition soignée reprenant les pochettes d’origine et donnant à entendre des remastering éclairants – tout l’héritage sous étiquette jaune de ce prince du violon viennois.
Les micros d’Elsa Schiller le saisissent déjà dans sa pleine maturité, le jeune homme virtuose, formé ne l’oublions pas entre Vienne et Prague où il fut l’élève fêté d’Otakar Ševčík – période documentée par les enregistrements Amadeo, jadis l’objet d’un coffret devenu rare, que couronnait un flamboyant Concerto de Tchaikovski sous la baguette de Václav Talich, Universal nous les rendra-t-il un jour prochain ? – avait laissé place à un musicien solaire.
Sa virtuosité consommée lui faisait dominer d’une bonne tête ses collègues viennois, Willi Boskovsky, Walter Barylli, Anton Kamper (comme eux il forma quatuor, nommé sur son patronyme), le corps harmonique de son violon, sensuel, opulent, était emporté par un archet ardent, capable d’attaques fulgurantes, de mordant (le Concerto de Stravinski avec Ancerl), disposant d’une palette gorgée de sfumatos (écoutez son Concerto de Frank Martin, merveille !), et surtout chantant comme un ténor lyrique.
Admirable, et d’abord dans Mozart, Vienne oblige, en concerto, avec Rosbaud, Leitner, puis pour l’intégrale (hélas sans la Concertante) conduisant de l’archet les Berliner, chant élancé, archet diseur, harmonies solaires, toutes les moutures sont restées immaculées pour le style comme pour l’esprit qui animent aussi les grandes Sonates partagées avec le piano impeccable de Carl Seeman.
Quatre fois le Concerto de Beethoven (deux fois avec Jochum, Van Kempen, aussi en concert avec Furtwängler), toutes les Sonates du même deux fois, la rencontre avec Kempff produisant des miracles de pure lyrique (quel Printemps !), rappellent que cet art altier est bâti sur un socle classique.
La somme révèle en plus des gravures connues (et parfois plusieurs fois rééditées), quelques perles oubliées, Sonates de Brahms avec Friedrich Wührer (ses plus évocatrices), tout le violon et piano de Schubert avec Walter Klien (complété par une merveilleuse Sonatine de Dvořák, belle comme un retour au source), conjuguant émotion et poésie, une brassée de sonates modernes étonnantes par l’intensité expressive qu’arde encore Carl Seemann (Debussy, Hindemith, Bartók, Prokofiev, le Duo concertant de Stravinski) élargissant la focale.
Par où commencer ? Avec Walter Klien transformant son piano en orchestre, une stupéfiante réinterprétation de la Sonate de Richard Strauss vous dira tout des pouvoirs de ce violoniste magicien. Puis laissez-vous séduire par le pur charme de son archet échangeant avec le chant d’Irmgard Seefried, son épouse à la ville : Non temer, amato bene. Si vous ne souriez pas d’émotion…
LE DISQUE DU JOUR
Wolfgang Schneiderhan
Complete Recordings on Deutsche Grammophon
Œuvres de Johann Sebastian Bach, Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms, Frank Martin, Paul Hindemith, Béla Bartók, Sergei Prokofiev, Felix Mendelssohn Bartholdy, Max Bruch, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert, Antonín Dvořák, Richard Strauss, etc.
Wolfgang Schneiderhan, violon (et direction)
Carl Seemann, piano
Wilhelm Kempff, piano
Friedrich Wührer, piano
Walter Klien, piano
Irmgard Seefried, soprano
Orchestre à cordes du Festival de Lucerne
Collegium Musicum Zürich
Berliner Philharmoniker
Rudolf Baumgartner, direction
Paul Sacher, direction
Eugen Jochum, direction
Paul van Kempen, direction
Wilhelm Furtwängler, direction
Hans Schmidt-Isserstedt, direction
Hans Rosbaud, direction
Ferdinand Leitner, direction
Un coffret de 34 CD du label Deutsche Grammophon 00289 4863789
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Photo à la une : le violoniste Wolfgang Schneiderhan – Photo : © DR