Dans les années trente les lourds albums de 78 tours ancrèrent Bach dans les foyers des mélomanes assez argentés pour disposer d’un phonographe. L’enregistrement électrique garantissait de retrouver les timbres des instruments dans une proximité accrue par rapport au concert. Avoir chez soi Pablo Casals empoignant les Suites pour violoncelle, Edwin Fischer donnant les clefs du labyrinthe du Clavier bien tempéré, Adolph Busch et sa bande alerte offrant en couleurs vives les Concertos brandebourgeois (avec Rudolf Serkin pour le 5e) et les Suites.
Tout cela fait en dehors du concert où Bach n’était vraiment présent qu’en Allemagne depuis que Claudio Arrau avait donné à Berlin dès les années vingt tout ce que l’on connaissait alors, disponible en édition moderne, de ce que Bach destinait, hors l’orgue, au clavier seul.
Casals fit plus. Alors que l’Europe s’apprêtait à plonger dans la tourmente, il « inventait » les Suites pour violoncelle. Peu jouées avant lui, il se les était appropriées depuis ses vingt ans, l’archet libre, la vivacité rythmique, l’impertinence des phrasés, le son mesuré, modelé, le dédain pour tout effet autre que vital prouvent qu’en effet, devant les micros du Studio Albert ou de ceux d’Abbey Road il jouait ces partitions de l’intérieur. À rebours, ce qui étonne toujours reste la modernité de son geste, la simplicité des lignes de chant, et une certaine objectivité bien dans l’air du temps de cette entre deux-guerres.
L’ouverture du coffret Warner, rassemblant ses 78 tours dont la gravure directe capture si fidèlement le grain de l’archet sur la corde qui fait tout le sel du ton Casals, ne pouvait être que ces Suites toujours aussi questionneuses. Historiques, certes, mais elles ne doivent pas masquer la grande brassée de musique de chambre, autant de gravures au fort caractère, Sonates de Beethoven con fuoco magnifiées en partie par le piano de Mieczysław Horszowski qui prend la primauté dans une aventureuse Deuxième Sonate de Brahms, sollicitant Casals au point qu’il cassa sa corde de ré, interrompant l’enregistrement. Sommet de ces gravures, celles en trio, et plutôt que l’Archiduc si célébré, le Premier Trio de Schubert où Cortot entraîne de son clavier vif argent les archets du Catalan et de Thibaud.
Côté concertos, moisson plus maigre. Si le Elgar reste toujours aussi singulier, et à mon sens absolument épatant de caractère et de lyrisme (Boult n’y est pas pour peu), le Dvořák enregistré à Prague sous la baguette tranchante de George Szell le montre fatigué, le Boccherini façon Grützmacher reste anecdotique, au contraire d’un Double de Brahms où le chant partagé avec Thibaud domine les tempêtes qu’arde la direction de Cortot, version majeure et trop oubliée.
L’éditeur ajoute une saisissante Ouverture de Coriolan avec le London Philharmonic, rappelant que Casals dès les années vingt dirigeait (remarquable repiquage d’Art et Son Studio comme pour une brassée de pièces brèves) et en coda sept sardanes où le violoncelliste dirige La Principal de Gerona, rarissime enregistrement de 1955 réalisé à Prades.
C’est le Casals des années cinquante, septuagénaire toujours vert, que les ingénieurs de Philips enregistrent en 1958 à la Beethoven-Haus de Bonn pour trois microsillons dévolus à l’auteur de la Missa solemnis, trois Sonates avec Horszowski – le duo n’a rien perdu de son caractère explosif, de sa verve, et trois Trios où les rejoint Sándor Végh.
Depuis 1950, Casals et ses amis, avec l’aide financière de sponsors américains, avaient établi à Prades, à quelques encablures de cette Espagne franquiste où le violoncelliste refusait de reparaître, le festival que l’on sait. La Columbia américaine et la Radio française avaient posé leurs micros, Philips put investir l’Église Saint Pierre plus tardivement, en juillet 1961, capturant la rencontre avec Wilhelm Kempff pour une magique Première Sonate de Beethoven, et un Geistertrio avec Sándor Végh et Karl Engel. Le pianiste suisse, rencontré durant les master classes de Zürich, allait développer une amitié féconde avec le violoncelliste catalan que l’on retrouve le même été tenant le second violoncelle du Quintette de Schubert avec un quatuor tout hongrois.
L’éditeur ajoute le disque de Concertos (Haydn, Boccherini) où Casals adoube Maurice Gendron, en passe de devenir le violoncelliste du label néerlandais, et l’Hommage donné en 1956 au Grand Auditorium de la Sorbonne par plusieurs violoncellistes, toutes générations confondues, de Maurice Maréchal à Guy Fallot. Écoutez la répétition de l’Élégie de Fauré…
LE DISQUE DU JOUR
Pablo Casals
The Complete HMV Recordings, 1926-1959
(MONO recordings from 1926-1955)
CD 1 & 2
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Les 6 Suites pour violoncelle seul
Suite No. 1 en sol majeur, BWV 1007
Suite No. 2 en ré mineur, BWV 1008
Suite No. 3 en ut majeur, BWV 1009
Suite No. 4 en mi bémol majeur, BWV 1010
Suite No. 5 en ut mineur, BWV 1011
Suite No. 6 en ré majeur, BWV 1012
CD 3 & 4
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les 5 Sonates pour violoncelle et piano
Sonate No. 1 en fa majeur, Op. 5 No. 1
Sonate No. 2 en sol mineur, Op. 5 No. 2
Sonate No. 3 en la majeur, Op. 69
Menuet en sol majeur, WoO 10/2 (version pour violoncelle et piano : Burmester)
Sonate No. 4 en ut majeur, Op. 102 No. 1
Sonate No. 5 en ré majeur, Op. 102 No. 2
Mieczysław Horszowski, piano (sauf Op. 69, Menuet) –
Otto Schulhof, piano (Op. 69, Menuet)
Ouverture « Coriolan », Op. 62
London Symphony Orchestra, piano – Pablo Casals, direction
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violoncelle et piano No. 2 en fa majeur, Op. 99
Mieczysław Horszowski, piano
CD 5
Antonín Dvořák (1841-1904)
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 2 en si mineur, Op. 104
Orchestre Phiharmonique Tchèque – George Szell, direction
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 85
BBC Symphony Orchestra – Sir Adrian Boult, direction
Max Bruch (1835-1920)
Kol Nidrei
London Symphony Orchestra – Sir Landon Ronald, direction
CD 6
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 7 en si bémol majeur, Op. 97 « Archiduc »
7 Variations sur « Bei Männern, welche Liebe fühlen », WoO 46
Franz Schubert (1797-1828)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 1 en si bémol majeur, Op. 99, D. 898
Jacques Thibaud, violon – Alfred Cortot, piano
CD 7
Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 1 en ré mineur, Op. 49, MWV Q29
Robert Schumann (1810-1856)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 1 en ré mineur, Op. 63
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Variations sur « Ich bin der Schneider Kakadu » de Wenzel Müller en sol majeur, Op. 121a
Jacques Thibaud, violon – Alfred Cortot, piano
CD 8
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 25 en sol majeur, Hob. XV:25, Op. 82 No. 2, « Gypsy »
Jacques Thibaud, violon – Alfred Cortot, piano
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur, Op. 102
Jacques Thibaud, violon – Orchestre Pablo Casals de Barcelone –
Alfred Cortot, direction
Luigi Boccherini (1743-1805)
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 9 en si bémol majeur, G. 482
London Symphony Orchestra – Sir Landon Ronald, direction
CD 9
Encores & showpieces
Œuvres de Giuseppe Tartini, Antonín Dvořák, Nikolai Rimski-Korsakov, Franz Joseph Haydn, Antonio Vivaldi, Johann Sebastian Bach (arr. Siloti), Robert Schumann, Giuseppe Valentini, Felix Mendelssohn Bartholdy, Gaspar Cassado
Sardanes de concert
Pablo Casals (1876-1973)
Festivola
Eroica
Tarragona
Luny
La Rosalda
Innominada
Dabute
Pablo Casals, violoncelle
Un coffret de 9 CD du label Warner Classics 5054197522413
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Pablo Casals
The Philips Legacy
CD 1
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violoncelle et piano No. 2 en sol mineur,
Op. 5 No. 2
Sonate pour violoncelle et piano No. 5 en ré majeur,
Op. 102 No. 2
Pablo Casals, violoncelle – Mieczysław Horszowski, piano
CD 2
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 3 en ut mineur, Op. 1 No. 3
Sándor Végh, violon – Pablo Casals, violoncelle – Mieczysław Horszowski, piano
Sonate pour cor et piano en fa majeur, Op. 17 (transcription pour violoncelle et piano)
Pablo Casals, violoncelle – Mieczysław Horszowski, piano
CD 3
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 5 en ré majeur, Op. 70 No. 1
« Geistertrio »
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 7 en si bémol majeur, Op. 97
« Archiduc »
Sándor Végh, violon – Pablo Casals, violoncelle – Mieczysław Horszowski, piano
CD 4
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 5 en ré majeur, Op. 70 No. 1
« Geistertrio »
Sándor Végh, violon – Pablo Casals, violoncelle – Karl Engel, piano
Sonate pour violoncelle et piano No. 1 en fa majeur, Op. 5 No. 1
Pablo Casals, violoncelle – Wilhelm Kempff, piano
CD 5
Franz Schubert (1797-1828)
Quintette à cordes en ut majeur, D. 956
Pablo Casals, violoncelle II – Végh Quartet
CD 6. Hommage à Pablo Casals
Gabriel Fauré (1845-1924)
Elégie en ut mineur, Op. 24 (version avec orchestre)
répétition et concert
solistes :
Paul Bazelaire, Maurice Maréchal, Gaspard Cassado, Rudolf von Tobel, Etienne Pasquier, André Lévy, Gaston Marchesini, Guy Fallot, Charles Bartsch, Jean Vaugeois, violoncelles
Orchestre de l’Association des Concerts Lamoureux
Pablo Casals, violoncelle, direction
Pablo Casals (1876-1973)
Les Rois mages
Sardana
Ensemble de 102 violoncelles – Pablo Casals, violoncelle, direction
Johann Sebastian Bach (1685–1750)
Suite pour violoncelle seul No. 5 en ut mineur, BWV 1011 (extrait : V. Sarabande)
Pablo Casals, violoncelle
CD 7
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 2 en ré majeur, Hob. VIIb/2
Luigi Boccherini (1743-1805)
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 9 en si bémol majeur, G. 482
Maurice Gendron, violoncelle – Orchestre des Concerts Lamoureux – Pablo Casals, direction
Pablo Casals, violoncelle
Un coffret de 7 CD du label Decca 00028948423484 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : une statue du violoncelliste Pablo Casals, érigée à Montserrat, en Espagne – Photo : DR