Pour le 150e anniversaire de la naissance de Sergei Rachmaninov, Kirill Gerstein a jeté son dévolu sur le plus couru des quatre Concertos, le Deuxième. C’est peu écrire qu’il l’entend comme enferré dans la profonde dépression qui avait harassé le compositeur depuis l’échec de son Premier Concerto, refusant la joie de pure renaissance qu’illustre le Finale.
Noir c’est noir, proclame ce pianiste impeccable qui a toujours surveillé d’un peu trop près son jeu. Du moins cela ôte le pathos qui aurait pu amoindrir cette vision, mais il y a un revers : pour éviter l’épanchement, le corset est trop serré, les phrasés drastiques pour fuir l’émotion dessèchent le propos ; cela reste admirable de concentration, de volonté, mais ne chante guère, d’autant que Kirill Petrenko, fidèle à la vision du pianiste, fait les Berliner sombres, en sonorité granitique. Je sors de là rincé et vite me replonge dans les paysages foudroyants de Richter à Varsovie avec Stanisław Wisłocki.
Jouées courtes, sèches, précises, les Variations sur un thème de Corelli disent plus de la volonté du pianiste que du fabuleux voyage stylistique imaginé par le compositeur, le Liebesleid de Kreisler semble gommer l’original sans trouver la fantaisie qu’y aura amoureusement coulée Rachmaninov, Gerstein ajoutant sa propre transcription d’une des mélodies de l’Opus 4, un peu carrée, comme pour faire oublier la voix.
Tant de maîtrise éloigne la musique.
LE DISQUE DU JOUR
Rachmaninoff 150
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Concerto pour piano et
orchestre No. 2 en ut mineur,
Op. 18
Morceaux de fantaisie, Op. 3 (extrait : No. 3. Mélodie)
Liebesleid (arr. Rachmaninov ;
No. 2, extrait des « Alt-Wiener Tanzweisen » de Fritz Kreisler)
Variations sur un thème de Corelli, Op. 42
Dans le silence de la nuit mystérieuse, Op. 4 No. 3 (arr. Gerstein)
Kirill Gerstein, piano
Berliner Philharmoniker
Kirill Petrenko, direction
Un album du label Berliner Philharmoniker Recordings BPHR230469
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Photo à la une : le pianiste Kirill Gerstein – Photo : © Marco Borggreve