Ephémère

Lorsque Anshel Brusilow forma au printemps de 1961 son orchestre de chambre avec ses amis de l’Orchestre de Philadelphie, dont il était alors le « concertmaster », se doutait-il des difficultés successives qui allaient mettre un terme prématuré à sa belle entreprise ?

Eugene Ormandy ne regardait pas avec toute la bienveillance nécessaire la création d’un orchestre qui, même de format Mozart, proposait une autre saison de concerts symphoniques (même modeste en nombre de soirées, au début cinq par saison durant l’été). Puis les syndicats de musiciens eux-mêmes s’en mêlèrent, interdisant, par un édit, à tout membre du Philadelphia Orchestra de participer à la nouvelle formation.

En signe de protestation, Brusilow quitta le pupitre du premier violon, conserva quelques musiciens frondeurs de l’orchestre, dont le premier violoncelliste William Stokking, Ormandy dans l’immédiat n’allant pas jusqu’à les licencier (ils ne perdaient rien pour attendre), invita quelques solistes freelance et des instrumentistes chevronnés du Curtis, composant un orchestre étoffé qui, à compter de 1966, proposera des saisons complètes.

La virtuosité de l’ensemble, son ouverture vers des répertoires que l’Orchestre de Philadelphie maintenait à la marge, le charisme de leur directeur musical : en une saison le public répondit présent, mais aussi le disque. La RCA, en signant l’Orchestre de chambre de Philadelphie, reprenait pied dans la capitale culturelle de la Pennsylvanie où elle avait régné sans partage durant le magister de Leopold Stokowski.

La label au sceau rouge accompagnera le Chamber Symphony jusqu’en 1968, année où l’Orchestre de Philadelphie quitta la Columbia pour revenir dans le giron de RCA, coup d’arrêt brutal alors même que Brusilow sortait rayonnant des sessions d’un fastueux Bourgeois gentilhomme où il avait repris son violon. La formation survivra deux saisons encore, avant de se débander en 1972.

Six disques seulement. Dès les deux premiers la philosophie de l’ensemble et de son directeur était clairement exposée : remettre en évidence des partitions oubliées du grand répertoire (dans ce cas une lecture fabuleuse de poésie et d’élan de la Première Sérénade de Brahms) et illustrer la musique du XXe siècle (créations comprises, pour l’heure la Messe « Come, Creator Spirit » de Richard Yardumian, gloire locale, certes, mais d’abord compositeur inspiré qui répondait ici à une commande de l’orchestre).

Suivront un disque Tchaikovski/Arenski d’un fini, d’une élégance, un doublé Cherubini Haydn, vert, enlevé (quel « Il distratto »), un album français ouvert par un ineffable Tombeau de Couperin (avec le hautbois de James Caldwell) poursuivi par la rare Sérénade de Jean Françaix avant le Capriccio d’Ibert, et surtout sa Suite « Paris », d’une poésie élégante et canaille à la fois. Cet album français est une merveille qui n’aurait jamais dû quitter les catalogues, assez dans la veine de ceux que Vladimir Golschmann gravait pour Capitol avec son Orchestre de Saint-Louis.

Coda brillantissime chez Richard Strauss (Le Bourgeois gentilhomme, déjà cité) et Wolf pour une Sérénade italienne fouettée.

Ai-je jamais pu espérer revoir en CD ces microsillons que je cherchais chez Griffon à Manhattan, souvent en vain ? Les voici, je me frotte les yeux. Non, je ne rêve pas.

LE DISQUE DU JOUR

Anshel Brusilow conducts the Chamber Symphony
of Philadelphia

The Complete RCA Album Collection

CD 1
Johannes Brahms
0404(1833-1897)
Sérénade pour orchestre No. 1 en ré majeur, Op. 11

CD 2
Richard Yardumian (1917-1985)
Come, Creator Spirit
Lili Chookasian, contralto – Chamber Symphony of Philadelphia ChoraleMembers of the Fordham University Glee ClubMembers of the Thomas More College Women’s Chorale

CD 3
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Suite pour orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 61, TH 34 « Mozartiana »
Quatuor à cordes No. 1 en ré majeur, Op. 11, TH 111 (extrait : II. Andante cantabile, version pour orchestre à cordes)
Anton Arenski (1861-1906)
Variations sur un thème de Tchaikovski, Op. 35a

CD 4
Luigi Cherubini (1760-1842)
Symphonie en ré majeur
Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie No. 60 en ut majeur, Hob. I:60 « Il distratto »

CD 5
Maurice Ravel (1875-1937)
Le tombeau de Couperin, M. 68a
Jean Françaix (1912-1997)
Sérénade pour petit orchestre
Jacques Ibert (1890-1962)
Suite symphonique, « Paris »
Capriccio

CD 6
Richard Strauss (1864-1949)
Der Bürger als Edelmann (Le bourgeois gentilhomme) – Suite, Op. 60b, TrV 228c
Hugo Wolf (1860-1903)
Sérénade italienne (version orchestrale)

Chamber Symphony of Philadelphia
Anshel Brusilow, direction

Un coffret de 6 CD du label Sony Classical 19658792072
Acheter l’album sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le chef d’orchestre Anshel Brusilow –
Photo : © Texas University Photography Collection