Le fructueux voyage de Jonathan Biss dans le continent des Sonates de Beethoven laissait espérer les Concertos, les voici. Il les prend à rebours commençant par l’« Empereur », geste ardent, pianisme somptueux porté par un plein jeu à dix doigts d’une suprême éloquence et d’une simplicité d’accents, de lignes, de traits, qui n’exclut pas les raffinements ; la palette des nuances est plus d’une fois troublante, d’autant que le tempo ne se relâche jamais. Cet « Empereur » vif, solaire, refuse de tonitruer, apollinien avant tout aussi par l’orchestre : les Suédois de David Afkham se gardent d’alourdir, ils sont sur les pointes, en communion idéale avec le pianiste.
Pour son projet Beethoven, Jonathan Biss a suscité des miroirs pour chaque concerto. Le « Voyage d’hiver » de Brett Dean tire au commentaire avec un brio un peu vide, pas facile de regarder en face cet astre, l’œuvre s’écoute, si poétiquement enlevée, mais je reviens vite à l’« Empereur », et en découvre un autre.
Un ami new-yorkais m’avait soufflé voici deux ans le nom de Reed Tetzloff, trente-et-un ans, adoubé par Richard Goode, passé par plusieurs concours prestigieux, trois disques déjà ont paru aux États-Unis, dont un bel album Schumann. Dès l’entrée du 4e Concerto, la subtilité évocatrice de sa sonorité donne le ton : lyrique mais appassionato, orphique à vrai dire dans une œuvre qu’il joue comme un poème, épaulé avec art par les Pragois et Paweł Kapuła.
Magnifique vraiment à force de fluidité intense, de pure beauté, un geste esthétique qui rappelle Perahia. Ce Quatrième Concerto si intense – le quasi-silence de l’Andante ! – dirait probablement tout de son art, et pourtant un « Empereur » fusant, électrique, où passe quelques éléments de l’interprétation historiquement informée qu’il aura glanés durant les heures passées en compagnie de Robert Levin, l’un de ses mentors, ajoute une dimension orchestrale à ce jeu si inventif.
J’attends la suite de son voyage, comme de celui de Jonathan Biss, avec gourmandise.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « L’Empereur »
Brett Dean (né en 1961)
Gneixendorf Music (A Winter Journey)
Jonathan Biss, piano
Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise
David Afkham, direction
Un album du label Orchid Classics ORC100291
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Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 58
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « L’Empereur »
Reed Tetzloff, piano
Orchestre Philharmonique de Prague
Paweł Kapuła, direction
Un album du label Aparté AP364
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Photo à la une : le pianiste Reed Tetzloff – Photo : © Steve Sherman