Aède

Julian Prégardien le sait bien, le narrateur-acteur de La Belle meunière est un poète, qualité qui le destine plus encore aux ténors qu’aux barytons, Aksel Schiøtz, Ernst Haefliger, Fritz Wunderlich l’ont prouvé chacun dans leurs nuances. Celles du nouveau venu sont emportées par cet élan que le timbre, toujours juvénile, autorise : la passion le brûle, la désillusion le détruira, tant de drame qui font le mot égal de la note, et la note elle-même soumise à un espressivo qui pimente le texte, dans le soutien exact et lui aussi très orné de la belle copie d’un Graf que touche Kristian Bezuidenhout avec cet alliage de brio et de sensible qu’il mettait déjà à ses autres Schubert pour Mark Padmore.

Voyage fascinant, et qui renouvelle une œuvre courue, écoutez seulement le récit de Morgengrüss, cet art de faire entendre différemment, plus encore par une volonté artistique que par le simple recours aux ossias.

Troublant au possible, comme le sera son Possente spirto où il ose la même intensité, le même espressivo, mais d’un chant à revers des virtuosités voyantes d’un Nigel Rogers. La prière au bord des Enfers se déploie à la lisière de l’espoir et de la fureur, cette fureur qu’il aura laissé exploser dans un Tu sei morta d’anthologie. Musique de mort, quel contraste avec son ivresse encore si proche qui lui faisait oser un Vi ricorda o bosch’ombrosi d’une folle insolence.

De Schubert à Monteverdi, il n’y aurait donc qu’un pas pour cette voix dont l’art est tout espressivo ? Cela pourra sembler vertigineux à certains, mais offre un portrait du poète monteverdien saisissant, rappelant l’audace mêlant chant noble et douleur humaine qu’y avait osé Eric Tappy, posant alors un modèle inaltéré.

Autour de Julian Prégardien, Stéphane Fuget dresse plus que des décors : la narration est dans son orchestre sombre, intense, qui, atteint au sublime pour les Enfers, et ose toutes les fantaisies des deux premiers actes. Il sait marier les fêtes madrigalesques des bergers à leurs lamentations, encorbelle les amours d’Orfeo et Euridice avec des myriades de timbres subtils, détaille les débats des Enfers (la Proserpine de Marie Perbost proche du sublime, mais tous font un quatrième acte exceptionnel), conduit à l’élévation finale dans cette alliance de la douleur et de la consolation qu’apaise le dialogue déchirant entre le père (Cyril Auvity, quel Apollon) et le fils.

Gravure magique, portée par une équipe de chant qui magnifie le second volume de cette trilogie Monteverdi de première force. Que nous réservera L’incoronazione di Poppea ? En attendant, je vais reprendre leur version d’Il ritorno d’Ulisse in patria.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert (1797-1828)
Die schöne Müllerin, D. 795

Julian Prégardien, ténor
Kristian Bezuidenhout,
pianoforte
Un album du label harmonia mundi HMM902739
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Claudio Monteverdi (1567-1643)
L’Orfeo,
SV 318

Julian Prégardien, ténor (Orfeo)
Gwendoline Blondeel,
soprano (La Musica, Euridice)
Marie Perbost, soprano (Ninfa, Proserpina)
Eva Zaïcik, mezzo-soprano (Messaggiera, Speranza)
Cyril Auvity, ténor (Apollo, Eco, Un pastore, Un spirito)
Luc Bertin-Hugault, baryton-basse (Plutone, Un pastore, Un spirito)
Luidi De Donato, basse (Caronte, Un spirito)
Vlad Crosman, baryton (Un pastore, Un spirito)
Paul Figuier, contre-ténor (Un pastore)

Les Epopées (Chœur & Orchestre)
Stéphane Fuget, direction
Un album du label Château de Versailles Spectacles CVS103
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Photo à la une : le ténor Julian Prégardien – Photo : © DR