Sur le papier, on n’y croyait pas trop. Après la vraie révélation que fut l’album Steffani, Cecilia Bartoli nous conviait à découvrir l’opéra à la Cour de Saint-Pétersbourg durant les règnes d’Anna Ioannovna, d’Elizaveta Petrovna et de la Grande Catherine ! Terra incognita absolue dont pour nous avaient seulement émergé, et en plus voici quelques lustres déjà, l’Oratorio russe de Sarti et l’Orphée de Fomine.
Comme toujours, la mezzo rossinienne assoluta s’est immergée dans les partitions et en a tiré quelques gemmes. Passons sur le seul allemand de la bande, Hermann Raupach, qui singe Gluck : il sera cocasse de comparer son « O placido il mare » du Siroe de Metastase, sans envergure, filant droit, muscle sans chaire, avec la mise en musique si inventive dont le para Hasse dans son Siroe, re di Persia, révélé tout juste par George Petrou pour le même éditeur (lire ma chronique ici).
Mais les arias de Manfredini sont des bijoux, sensibles, émouvants, le Cimarosa, avec son concerte de flûte et de violon, une merveille. Pourtant la surprise vient plus encore de deux airs du napolitain Francesco Domenico Araia : un grand lamento tiré de sa Minerva, « Vado a morir », que Bartoli murmure sur le fil de sa voix, frisson garanti, et une Aria pastorale avec hautbois obligé, « Pastor che a notte ombrosa » (Demetrio), où se profile l’ombre de Mozart.
Voilà bien un compositeur dont on aimerait entendre au complet les ouvrages lyriques. Araia, s’éloignant de ses succès milanais, avait relevé le gant laissé à terre par Porpora qui avait refusé de s’installer en Russie. A Saint-Pétersbourg, les opéras d’Araia régnèrent sans partage jusqu’au milieu des années 1750 – seule l’irruption de La Clemenza di Tito de Hasse, représentée à Moscou pour le couronnement d’Elizaveta Petrovna leur fit une ombre fugitive – et l’on comprend bien pourquoi : poésie, subtilité, émotion, tout participe d’un style singulier.
Emmené avec ardeur par Diego Fasolis et ses Barocchisti, somptueusement édité, l’album montre Cecilia Bartoli au sommet de son art, avec une voix dont elle a retrouvé la plénitude sur tous ses registres, reconquête déjà notée lors de la parution du disque Steffani. Faites avec elle ce voyage vers la Russie italienne !
LE DISQUE DU JOUR
St. Pétersbourg
Airs d’opéras d’Araia, Manfredini, Cimarosa, Raupach
Cecilia Bartoli, mezzo-soprano
I Barocchisti
Diego Fasolis, direction
Un album (CD-livre) du label Decca 4786767
Photo à la une : (c) DR