Philips n’avait pas l’intention de programmer une intégrale des Symphonies de Beethoven avec l’Academy et Sir Neville Marriner. Sans compter l’album majeur d’Eugen Jochum au Concertgebouw, en Albion déjà deux cycles étaient en cours, celui de Sir Colin Davis commencé à la BBC et le premier essai de Bernard Haitink avec le London Philharmonic Orchestra ; ils avaient en quelque sorte oblitéré ce qui aurait pu devenir un projet tant les deux premiers opus selon Marriner et sa petite bande, placés en coda d’un coffret de quatre microsillons consacrés à la naissance de la symphonie avaient surpris en bien.
Cette élégance vive, ces pupitres alertes, ces rythmes qui fusent, ce petit orchestre mobile changeaient drastiquement le visage des deux premières symphonies : on était en 1970, la révolution des interprétations historiquement informées n’avait pas encore atteint le continent Beethoven. Marriner se doutait-il qu’il œuvrait en pionnier ? Une 4e fusante, emportée par un quatuor supra-virtuose, enregistrée en 1974 en marge de sessions Mozart dont elle garde la lumière, ajoutait de quoi espérer une suite … qui tarda à venir.
Lorsque Marriner remit son Beethoven sur le métier, abordant l’Eroica en 1982, à l’orée de l’enregistrement numérique, la révolution avait bien eu lieu, sans que Marriner s’en embarrasse : son Héroïque en grand son, admirablement phrasée, rappelle l’art des grands anciens, et souligne l’évolution en forme de point de non-retour de la syntaxe beethovénienne.
La Marche funèbre reste un des grands moments de ce cycle qui allait se compléter poco a poco. Une Pastorale radieuse, emplie de paysages, une 5e délivrée de tout pathos posée face à une 8e tonique, pleine d’une fantaisie qui fait apparaître en filigrane la silhouette de Haydn, une 7e athlétique auraient quasiment suffi à rendre le Beethoven de Marriner précieux, la 9e lui échappant malgré l’élan et un formidable quatuor. Dommage, car l’élévation spirituelle et le raptus de cordes de sa Grande Fugue laissaient pourtant espérer qu’il serait chez lui dans une œuvre aussi prophétique.
Alors on se consolera en herborisant les autres symphonies, en écoutant les deux versions du Concerto pour violon (avantage à celui de Iona Brown, premier violon de l’Academy, stellaire dans le Larghetto, sur celui de Gidon Kremer, si démonstratif et grevé par les cadences de Schnittke), en se délectant de l’album des Danses.
Un souhait ? Cyrus Meher-Homji après avoir édité le cycle de Sir Colin Davis et participé à la résurrection du Beethoven de Sir Neville, osera-t-il publier le cycle londonien de Bernard Haitink, toujours inconnu au CD ?
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
CD 1
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 36
CD 2
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
CD 3
Symphonie No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
Grosse Fuge, Op. 133 (version orchestrale)
CD 4
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 67
Symphonie No. 8 en fa majeur, Op. 93
CD 5
Symphonie No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale »
Die Weihe des Hauses, Op. 124 – Ouverture
CD 6
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Wellingtons Sieg, Op. 91 (Schlacht, Sieges-Symphonie)
CD 7
Symphonie No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »
Karita Mattila, soprano – Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano – Francisco Araiza, ténor – Samuel Ramey, basse
CD 8
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Iona Brown, violon
CD 9
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Gidon Kremer, violon
CD 10
12 Minuets WoO 7
12 Danses allemandes WoO 8
12 Contredanses, WoO 14
Academy of St. Martin-in-the-Fields
Sir Neville Marriner, direction
Un coffret de 10 CD du label Decca 4854943
Acheter l’album sur le site du label www.jpc.de, sur le site du label Decca Classics ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter les albums séparés sur Qobuz.com
Photo à la une : le chef d’orchestre Sir Neville Marriner – Photo : © DR