Le plus insaisissable des opéras de Janáček ? Et si peu un opéra d’ailleurs, mais deux voyages, l’un sur la lune, l’autre aux temps troublés des Hussites, avec aller et retour à la taverne. Janáček mit des tendresses infinies aux ivrogneries de son Brouček qu’il emprunta au roman de Svatopluk Čech dont il suivait la parution en feuilleton, mais qu’il ne transforma en opéra que vingt ans après la mort de son auteur.
L’ouvrage est assez difficile, non pour l’auditeur, mais pour les interprètes, Janáček écrivant serré, et en mètres volontairement complexes ; derrière la comédie il radicalise son art, sans renoncer à la poésie, ce que fait magnifiquement entendre (et je crois bien pour la première fois avec autant d’exactitude) Jaroslav Kyzlink. En comparaison le lyrisme noir de Kát’a Kabanová, qui suivra l’année suivante, sera infiniment plus simple pour la grammaire, les lignes de chant. L’abrupt si parlé, Janáček ne le retrouvera pleinement qu’avec De la maison des morts.
Au disque, Les Voyages de Mr. Brouček n’ont pas eu de vraie chance depuis l’enregistrement princeps signé par Václav Neumann, ni František Jílek ni Jiří Bělohlávek n’ont su en trouver la poésie singulière, l’humour rêveur, les charges désopilantes, cette nouvelle fois serait-elle la bonne ?
L’équipe emmenée avec tant de poésie par Jaroslav Kyzlink a vécu l’œuvre en scène puis l’a enregistrée en studio, sans perdre l’irrépressible vitalité d’un spectacle que le livret documente. Jaroslav Březina est impayable, Brouček aussi hâbleur que surpris. Aleš Briscein est un pur luxe pour Mazal, chaque rôle a un visage et une voix, et quelles ! Tout cela pétille et emporte l’auditeur dans un tourbillon surréel qui saisit la sève même d’un ouvrage inclassable, bijou délaissé d’un corpus lyrique qu’on croit trop facilement connaître. Et si demain les mêmes tentaient Osud ?
LE DISQUE DU JOUR
Leoš Janáček (1854-1928)
Les Excursions de Mr. Brouček, JWI/6-7
Jaroslav Březina, ténor (Matěj Brouček)
Aleš Briscein, ténor (Mazal, Azurean, Petřík)
František Zahradníček,
baryton-basse (Le sacristain, Lunigrove, Domšík)
Alžběta Poláčková, soprano (Málinka, Etherea, Kunka)
Jiří Sulženko, basse (Würfl, Wonderglitter, Le conseiller)
Roman Janál, baryton (Le poète, Cloudy, Une autre voix)
Jiří Brückler, baryton (Svatopluk Čech, Le barde Vacek, Le premier taborite)
Martin Šrejma, ténor (Le compositeur, Un joueur de harpe, Miroslav l’orfèvre)
Josef Moravec, ténor (Le peintre, L’arc en ciel glorieux, La voix du professeur, Vojta, Deuxième taborite)
Doubravka Součková, soprano (La jeune servante, L’enfant prodige, Un étudiant)
Stanislava Jirků, contralto (Kedruta)
Chœur et Orchestre du Théâtre national de Prague
Jaroslav Kyzlink, direction
Un album du label Supraphon SU4339-2
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Photo à la une : le ténor Jaroslav Březina – Photo : © DR