Marier le Concerto-poème que Prokofiev écrivit pour la chanterelle de Paul Kochanski et l’œuvre au noir composée par Dmitri Chostakovitch pour David Oistrakh, c’est exiger du violoniste qui ose ce rapprochement la quadrature du cercle.
Oistrakh joua l’un et l’autre, avec le brio que l’on sait, mais comment ne pas entendre que la plénitude de sa sonorité était plus naturellement assortie au second ? Ning Feng possède une sonorité voluptueuse, qu’il avait employée à merveille dans un récent enregistrement des Sonates de Brahms. L’aigu embrumé par lequel il ouvre le Concerto de Prokofiev fait merveille, mais il aura aussi l’archet rageur pour le precipitoso, et la chanterelle sinueuse, il a surtout pour lui un merveilleux accompagnateur en Tung-Chieh Chuang, jeune chef taïwanais justement fêté en Allemagne.
J’étais certain que le Prokofiev tomberait dans les cordes du violoniste chinois, quelle surprise de le trouver impérieux, méphitique, inspiré par le Concerto sépulcral de Chostakovitch. L’ampleur de l’archet, la projection de ce violon si sombre dans la nuit sans lune que lui tisse l’orchestre de Bochum au long du premier mouvement, quel saisissement !
La Passacaglia sera tout aussi intense, après le persifflage du Scherzo, la cadence apoplectique saisissante jusque dans sa couture avec une Burlesque terrifiante de noirceur qui rappelle la violence qu’y mettait Leonid Kogan. Admirable doublé, qui sacre un violoniste de premier rang, et dévoile un chef inspiré.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Prokofiev
(1891-1953)
Concerto pour violon et
orchestre No. 1 en ré majeur,
Op. 19
Dmitri Chostakovitch
(1906-1975)
Concerto pour violon et
orchestre No. 1 en la mineur,
Op. 77
Ning Feng, violon
Bochum Symphony Orchestra
Tung-Chieh Chuang, direction
Un album du label Channel Classics CCS45924
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Photo à la une : le violoniste Ning Feng –
Photo : © Felix Broede