Voici quelques années que je suis Cornelius Meister. Plus jeune directeur musical d’Allemagne lorsqu’il prit ses fonctions à Heidelberg en 2005, nommé en 2010 chef de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, trente quatre printemps, père et mère pianistes, lui-même pianiste de formation avant que le démon de la direction ne le saisisse. Heureusement pour nous !
L’art de Meister est absolument germanique, de tradition, de ton, de facture, mais exactement à rebours des maniérismes, des accents, du rubato dont Christian Thielemann parsème ses interprétations, en espérant vainement s’inscrire dans le sillage de Wilhelm Furtwängler. C’est plutôt vers Karl Böhm, vers sa sonorité lumineuse et profonde, vers son orchestre nourri mais svelte que regarde le jeune homme.
Pour lui, la stabilité du tempo, la mesure de l’expression, le sens des perspectives et des équilibres sont essentiels. Un classique ? En quelque sorte oui, mais un classique venu du romantisme allemand, et du post-romantisme européen, cœur d’un répertoire bien plus vaste illustré par un fort coffret de la Radio de Vienne, « My RSO », auquel nous reviendrons en temps voulu.
Trop longtemps sans éditeur fixe, Cornelius Meister vient de signer chez Capriccio. Trois albums sont déjà parus qui ne doivent pas faire oublier un premier essai consacré à Béla Bartók pour CPO. Le Concerto pour orchestre, sombre et lyrique, avec son Introduzione aux accents de cauchemar, est saisissant de bout en bout, singulier, très concentré. Kossuth, une rareté au disque, sonne plus proche des idiomes magyars que bien des versions hongroises, Meister gommant volontairement les emprunts à Strauss auquel le jeune Bartók ne résistait pas encore. Et les Danses populaires roumaines, dites à plein orchestre, rayonnent. Pourtant, çà et là au cours du Concerto, la logique des enchaînements, éléments de la syntaxe bartokienne toujours délicats, péchait.
L’album suivant, consacré à la Quatrième Symphonie de Bruckner avait résolu cette difficulté, tempo fluide mais jamais précipité, énoncé en lumière des thèmes, profondeur de l’orchestre, et un rubato subtil, qui jamais ne rompt la ligne. Rien de tonitruant, une échelle dynamique maîtrisée, un lyrisme contenu, partout une mesure qui trouve dans la Romantique un classicisme formel que peu y ont vu.
Un disque Richard Strauss, tout juste sorti des presses, n’ajoute rien, sinon une plénitude du jeu orchestral décuplée pour Ein Heldenleben, narratif, fuyant la démonstration, et des Métamorphoses sveltes. Un requiem ? Une Ode.
Entre cette 4e de Bruckner et le disque Strauss, une merveille absolue : programme Wagner. Cornelius Meister lâche la bride, enflamme le Venusberg et s’immerge dans le Prélude de Tristan, sang et mort. La sonnerie des trompettes au sommet de la Bacchanale, éclate dans une noire splendeur, les cordes de Tristan sont des écharpes de brumes, toute une poésie émane.
Le théâtre serait-il au fond la destiné de Cornelius Meister ? Après tout, il a bien été Kappelmeister à l’opéra de Hanovre, sa ville natale. Anne Schwanewilms est l’autre héroïne du disque : Elisabeth irradiante, Isolde conquérant la lumière dans la mort même, elle signe une version d’anthologie des Wesendonck-Lieder, murmurando, ineffable, si lyrique, si tendre qu’à chaque écoute on frissonne. Et il faut entendre avec quel luxe d’attention, quel art des couleurs et du jeu sostenuto Cornelius Meister l’accompagne jusque dans la révolte de « Stehe stille » !
Guettez ces disques, et réservez vos places pour la 7e de Mahler qu’il donnera avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris le 4 avril 2015.
LES REFERENCES DE CE DOSSIER
Béla Bartók – Concerto pour orchestre, Kossuth, Danses populaires roumaines – Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, Cornelius Meister – 1 CD CPO 777784-2
Anton Bruckner – Symphonie No. 4 « Romantique » – Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, Cornelius Meister – 1 CD Capriccio C5150
Richard Strauss – Ein Heldenleben, Metamorphosen – Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, Cornelius Meister – 1 CD Capriccio C5208
Richard Wagner – Wesendonck Lieder, extraits de Tannhäuser et de Tristan und Isolde – Anne Schwanewilms – Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, Cornelius Meister – 1 CD Capriccio C5174
Photo à la une : (c) Nancy Horowitz