La Révélation de Ferrare

Gesualdo convolait en secondes noces avec Eleanor d’Este, occasion de s’établir à Ferrare où le madrigal était roi. Baldini, profitant de sa présence, y publiera ses deux premiers Livres de madrigaux, que les amateurs ferrarais s’arrachèrent, Gesualdo pourtant ne les regardait plus que d’assez loin. L’approfondissement du paradis madrigalesque qui avait étendu son empire sur le duché de Ferrrare lui inspire une nouvelle manière, où il épicera le maniérisme sublime de Luzzasco Luzzaschi de dissonances expressives saisissantes.

Revenu chez lui, dans son château de Gesualdo, il mit au net cette nouvelle manière qui allait définir son esthétique future, au long du Quatrième Livre aux écritures infiniment subtiles, et où le texte et ses affetti, plus qu’auparavant, guident l’espressivo des notes, la saveur des harmonies poivrées, la profondeur des polyphonies enlacées. Philippe Herreweghe et ses voix relèvent les mots à force de subtilités, éclairent les premiers ténèbres qui paraissent dans les vingt-et-un poèmes.

Un chromatisme exacerbe une sensualité dont l’érotisme peine à se dissimuler. Surtout la syntaxe harmonique qui éclatera dans les deux derniers livres paraît dans toute son inquiétante splendeur. Philippe Herreweghe se garde bien d’accentuer ces audaces, il les laisse au contraire émaner des portées ; la lumière un peu heureuse y est encore avant l’assombrissement tragique à venir, révélation avant la révolution qui sera le témoignage d’un destin si sombre, de cette mort tragique qui ôtera à quarante-sept ans du grand livre de la musique italienne ce géant secret, cette âme torturée dont le parcours exemplaire du Collegium Vocale continue de dévoiler les sens multiples avec un art qui surclasse ses malheureux concurrents.

LE DISQUE DU JOUR

Silenzio mio
Carlo Gesualdo (1566-1613)
Madrigali a 5 voici,
Libro IV (1596)

Collegium Vocale Gent
Philippe Herreweghe, direction

Un album du label Phi LPH043
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Photo à la une : © outhere-music