L’autre Sofronitsky

Viviana Sofronitsky me fut longtemps un personnage légendaire : son simple statut de fille de Vladimir Sofronitsky y suffisait. Des échanges de correspondance lors de la reparution des disques de son père me firent découvrir une personne attentive, généreuse. Il fallait découvrir l’artiste.

Elle fut liée à Moscou avec le cercle de musiciens qui gravitaient autour d’Alexei Lubimov, jouait au sein des deux ensembles qu’il animait, Madrigal et l’Académie de Musique de Chambre. Curieux de tout, pianiste multiforme, passionné à l’image du compositeur Andrei Volkonski, par tous les claviers, de l’orgue au clavecin en passant par le pianoforte, Lubimov ne dût pas manquer de lui faire découvrir sa collection d’instruments anciens.

Le ver était dans le fruit : Viviana était pianiste comme son père, elle deviendrait « pianofortiste ». Adieux la Russie, bonjour le Canada en 1990 après une année de transition aux États-Unis, puis établissement dans la Jérusalem de la pratique instrumentale historiquement informée, La Haye. Paul McNulty, le fameux facteur de pianoforte, son mari à la ville, la fournira en instruments aussi rares que somptueux.

Finalement, en 2001, le couple s’établit à Prague, ville mozartienne, où Viviana retrouve le cœur de son répertoire, le classicisme viennois.

De là, elle parcourt l’Europe présentant des concerts fastueux où elle joue plusieurs pianoforte. Et le disque ne l’ignore pas, même si ceux-ci sont chichement distribués. Deux sommets pour l’instant : une intégrale des Concertos de Mozart (rien que cela !) passée inaperçue sinon aux Pays-Bas, et un disque Schubert regroupant les deux cahiers d’Impromptus et s’ouvrant par une Fantaisie-Wanderer hallucinée où immanquablement le souvenir de la version dantesque de son père s’impose.

Tous les Mozart sont merveilleux autant par les questions qu’ils posent que par les solutions qu’ils y apportent. Gain considérable par rapport aux autres pianofortistes, le caractère d’un jeu qui empoigne le clavier, signe des pianistes convertis à l’instrument à l’image de Ronald Brautigam dont l’intégrale en cours des Concertos de Mozart offre bien de similitudes avec celle de Viviana.

Rythmes alertes, toucher fusant, discours plein d’imagination et d’effets saisissants, cela vous change radicalement le visage de ces œuvres si courues. Et Viviana Sofronitsky va jusqu’au bout, elle joue les quatre premiers Concertos et les trois Concertos KV 107 au clavecin.

Ailleurs, le splendide McNulty d’après Walter déploie des couleurs vives. Tout cela respire et irradie d’autant plus que le Musica Antiqua Collegium Varsoviense, seule formation sur instruments anciens polonaise à notre connaissance, joue avec une alacrité de tous les instants, mené prestement par Tadeusz Karolak.

Pour nous, en attendant que Brautigam ait bouclé son intégrale, la plus éloquente version au pianoforte de ce corpus, loin devant Immerseel (qui d’ailleurs ferait bien de les réenregistrer) ou Bilson. Mais attendez, ne partez pas si vite, prenez aussi l’album Schubert. Rendez-vous plage 3 de la Wanderer : ces accords téméraires, ces carrures élancées, ce son d’orchestre qui a pu les produire ici, sinon Viviana Sofronitsky ? Et oui, comme on l’écrivait plus haut, cette « Wanderer tempête » est bien un hommage à celle de son père, jusque dans les phrasés et les accents.

Les deux cahiers d’Impromptus, incarnés, puissants, fiévreux, en sonorité magnifiques – là encore l’instrument, cette fois, Paul MacNulty s’est inspiré du fameux Conrad Graf op.319 de 1819, strictement contemporain des ultimes œuvres de Schubert, est incroyable – sont renversant et ne se comparent qu’à ceux d’Alexei Lubimov. Comment s’en étonner ? Et l’on enrage qu’elle n’ait pas encore gravé les Klavierstücke et les ultimes Sonates !

LE DISQUE DU JOUR

cover mozart concertos sofronitskyWolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Les Concertos pour piano (Intégrale)
Viviana Sofronitsky, piano
Musica Antiqua Collegium Varsoviense
Tadeusz Karolak,
direction
Un coffret de 11 CD du label Etcetera KTC1424

VS_Schubert_CDFranz Schubert (1797-1828)
Wanderer-Fantaisie en ut majeur, D. 760
Impromptus, D. 899 (Premier Cahier)
Impromptus, D. 935 (Second Cahier)
Viviana Sofronitsky, piano
Un album du label AVI 8553250

Photo à la une : (c) DR