Revenir à Mozart, voilà après les nombreuses échappées dans les grands concertos du XXe siècle le voyage à rebours qu’entreprend Frank Peter Zimmermann. Fin des années quatre-vingt, il avait déjà gravé pour Electrola tout ce que Mozart réservait au violon : intégrale des Sonates avec comme partenaire turbulent et pourtant stylé Alexander Lonquich lui-même, et plus modestement les Concertos dirigés un rien raide par Jörg Färber : il fallait refaire en tous cas ces derniers.
Qu’on n’attende pas de Zimmermann un jeu historiquement informé, même s’il reste perméable à l’air du temps. Son archet droit et solaire, en son plein, sera l’antithèse seulement apparente de celui de Rachel Podger, car derrière la plénitude charnelle de son Stradivarius jadis caressé par Fritz Kreisler, les phrasés souples et les ornements allusifs ne sont plus empesés par la tradition, et la réflexion sur le vibrato produit une dynamique d’accents, de couleurs, salutaire, d’ailleurs à l’unisson du jeu d’orchestre sur les pointes, tranchant que Radoslaw Szulc tire de l’Orchestre de chambre de la Radio Bavaroise. Avec cela chez le soliste un dédain du beau son qui fait son jeu alerte, fusant, emportant des Finale dansés. C’est merveille, on pourra reprocher ça et là l’absence d’ombre, de second plan, mais cette manière si affirmée va comme un gant au naturel du discours mozartien. Courrez au rondo du Troisième Concerto : rythmes marqués, commentaires narquois des bois, archet piquant, c’est de la vraie musique de plein air.
L’album refermé, on en ouvre un autre regardé depuis longtemps : l’intégrale des Sonates avec Rachel Podger et Gary Cooper que Channel Classics vient de regrouper en un coffret. Historiquement informé, certes, mais d’abord d’une invention et d’une fantaisie absolues. Les couleurs du Pesarinius joué par Podger, et la légèreté de son archet donnent à chaque sonate une aura poétique dans un discours comme dansé, quadrature du cercle auquel participe le subtil pianoforte de Derek Adam d’après Anton Walter joué ample et lumineux par Gary Cooper. On y voit la syntaxe de Mozart évoluer vers le pré-romantisme, donnée jamais plus sensible que lorsqu’elle se trouve incarnée par des instruments anciens. Le son d’horizons nouveaux s’y forme, que les instruments modernes ne rendent qu’imparfaitement.
Et pour le lyrisme, Podger et Cooper nous emmènent aussi loin jadis que le firent Walter Weller et Radu Lupu. Leurs discours respectifs, même avec des moyens si différents, ne sont pas si éloignés…
LE DISQUE DU JOUR
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon No. 1 en si bémol majeur, KV 207
Concerto pour violon No. 3 en sol majeur, KV 216
Concerto pour violon No. 4 en sol majeur, KV 216
Rondo pour violon et orchestre en ut majeur, KV 373
Adagio pour violon et orchestre en mi majeur, KV 261
Frank Peter Zimmermann, violon
Orchestre de Chambre de la Radio Bavaroise
Radoslaw Szulc, direction
Un album du label Hänssler Classic 98039
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
L’Œuvre pour violon et clavier (Intégrale)
Rachel Podger, violon
Gary Cooper, pianoforte
Un coffret de 8 CD du label
Channel Classics CCS BOX6414
Photo à la une : (c) DR