Chaque mois de juin amène son coffret Martha Argerich and Friends et j’attends les échos choisis de l’édition du Festival de Lugano de la saison passée avec gourmandise.
L’édition 2014 ne déçoit pas, même si Martha Argerich s’y fait toujours aussi discrète à son piano. Mais le 20e Concerto de Mozart qu’elle retrouve sous la baguette alerte de Jacek Kaspszyk après l’avoir joué sous la direction de Claudio Abbado la montre si libre, la Sonate à quatre mains de Poulenc avec Dagmar Clottu si surprenante en terme d’invention sonore, avec dans le « rustique » un petit air à la Satie assez irrésistible, quand les Variations sur la Zauberflöte de Beethoven avec Maisky laissent plus circonspect : l’archet du Letton n’est plus si sûr.
Tout cela s’efface devant un ajout majeur dans la discographie de la Lionne : la 5e Sonate de Mieczyslaw Weinberg, déchirant cri dans la nuit puis divagation nocturne où l’archet de Gidon Kremer met tout son tranchant et sa fantaisie, portés par un clavier fulgurant (le Finale, si complexe avec ses quatre sections enchainées, sonne soudain avec une logique incroyable).
L’autre héros de cette salve est Gautier Capuçon. Avec Gabriela Montero, il se mesure à la vaste Sonate de Frank Bridge, jadis divulguée par Benjamin Britten qui l’enregistra avec Mstislav Rostropovitch. L’archet du Français creuse l’espace, le piano de la Vénézuélienne crée des paysages incroyables, sfumato et perspectives, rendant justice à cette partition de première force. Dans un autre registre, la Sonate de Poulenc où le rejoint Francesco Piemontesi, le montre inspiré par cette œuvre plus complexe qu’il n’y paraît. Il me semble bien qu’il y fait jeu égal avec celui pour lequel elle fût écrite, Pierre Fournier.
Vous grappillerez des raretés – la transcription pour quintette avec piano de La Création du Monde de Darius Milhaud vaut le détour pour son art de démêler polyphonies et polyrythmies, le Quintette de Borodine permet de retrouver Alexander Moguilevsky – et une merveille : la Fantaisie pour deux pianos de Scriabine selon Monguilevsky et Daniel Riva, partition magique qu’on devrait toujours enregistrer en compléments des Suites de Rachmaninov qui lui doivent tant.
LE DISQUE DU JOUR
Martha Argerich
and Friends
Festival de Lugano 2014
Œuvres de Beethoven, Borodine, Bridge, Mendelssohn-Bartholdy (arr. Busoni), Milhaud, Mozart, Poulenc, Scriabine, Weinberg
Martha Argerich, piano (Mozart, Beethoven, Poulenc – Sonate à 4 mains, Weinberg)
Eduardo Hubert, piano (Milhaud, Mendelssohn/Busoni)
Alexander Mogilevsky, piano (Borodine, Scriabine)
Gabriela Montero, piano (Bridge)
Francesco Piemontesi, piano (Poulenc, Sonate pour violoncelle)
Dagmar Clottu, piano (Poulenc, Sonate à 4 mains)
Daniel Rivera, piano (Scriabine)
Gidon Kremer, violon (Weinberg)
Dora Schwarzberg, violon (Milhaud, Mendelssohn/Busoni)
Michael Guttmann, violon (Milhaud, Mendelssohn/Busoni)
Andrey Baranov, violon (Borodine)
Geza Hosszu-Legocky, violon (Borodine)
Nora Romanoff-Schwarzberg, alto (Milhaud, Mendelssohn/Busoni, Borodine)
Gautier Capuçon, violoncelle (Bridge, Poulenc)
Mischa Maisky, violoncelle (Beethoven)
Mark Drobinsky, violoncelle (Milhaud, Mendelssohn/Busoni)
Jing Zhao, violoncelle (Borodine)
Orchestra della Svizzera Italiana (Mozart, K. 466)
Jacek Kaspszyk, direction
Un coffret de 3 CD du label Warner Classics 0825646134601
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Photo à la une : Le violoncelliste Gautier Capuçon – Photo : (c) DR