Longtemps, je vécus avec un seul enregistrement des Gurre-Lieder, celui capté en concert à la Radio Danoise dirigé par János Ferencsik, lecture sombre, dont le lyrisme intense prolongeait le deuxième acte de Tristan. Plus romantique tu meurs.
Je ne m’en suis jamais départi, même lorsque Riccardo Chailly vint ébranler mes certitudes avec sa stupéfiante lecture expressionniste, où lorsque le concert imparfait mais stupéfiant d’intuitions dirigé par Leopold Stokowski au Festival d’Edimbourg 1961 fut enfin publié : il faut dire qu’il avait pour lui un coupe d’amants superlatifs : Gre Brouwenstijn et le jeune James McCraken, une Desdémone et un Otello !
Mais voici qu’enfin je retrouve la nuance sombre du Prélude, et son tempo fluide mais rêveur, par lequel immédiatement Ferencsik me faisait entrer à Gurre et immédiatement refermait les portes derrière moi. À nouveau, je suis prisonnier.
Je n’en espérais pas tant de Markus Stenz et du Gürzenich de Cologne, même si j’avais goûté au disque leur intégrale Mahler. Mais voilà, tout ici va au cœur romantique de l’œuvre, et les amants sont splendides, Brandon Jovanovich phrasant comme un dieu de son ténor sombre, dont même les aigus ont un parfum de mort, et Barbara Haveman, tendre, éperdue, déployant des timbres magiques sur toute la tessiture.
Les paysages sonores des lieder alternés de la nuit d’amour sont entêtants, la subtilité avec laquelle Markus Stenz fait évoluer le langage de Schoenberg empêche de percevoir les césures et les coutures de l’œuvre, même si on sent le point de bascule lors du Chant du Ramier – emporté avec fièvre par Claudia Mahnke qui ne le cède ni à Janet Baker ni à Brigitte Fassbaender.
Les fureurs du blasphème, la folie des épisodes choraux emportés par le Bauer de Thomas le bien nommé, la folie abrasive du Klaus-Narr de Gerhard Siegel, aboutissent à la plus extraordinaire narration de la Sommerwindes wilde Jagd depuis celle de Julius Patzak à Copenhague : Johannes Martin Kränzle nous débarrasse enfin de l’insupportable Barbara Sukova qui a encombré tant d’enregistrements et de concert.
C’est fait, voilà la gravure de Markus Stenz rangée dans ma discothèque entres celles de János Ferencsik et de Riccardo Chailly.
LE DISQUE DU JOUR
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Gurre-Lieder
Barbara Haveman, soprano
Claudia Mahnke, mezzo-soprano
Brandon Jovanovich, ténor
Thomas Bauer, baryton
Johannes Martin Kränzle, récitant
Domkantorei Köln
Männerstimmen du Kölner Domchores
Vokalensemble Kölner Dom
Chor Des Bach-vereins Köln
Kartäuserkantorei Köln
Netherlands Female Youth Choir
Gürzenich-Orchester Köln
Markus Stenz, direction
Un album de 2 CD du label Hyperion CDA68081/2
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Photo à la une : © Josep Molina