Depuis ce matin, j’écoute en boucle L’Hirondelle de Daquin jusqu’à en avoir le vertige. Qui frôle le clavier de ses ailes ? Guiomar Novaes, le 29 mars 1940 pour les micros de la Columbia Recording Corporation à New York. La délicatesse de ce toucher félin pourrait se révéler trompeuse, car si Novaes sait caresser son piano, elle sait surtout le timbrer : écoutez seulement le ressac qui ouvre Evocacion ou la guitare qui chante dans Triana, un 78 tours Columbia que j’écoutais enfant. Quelle déception lorsque je dus me résoudre à ne jamais avoir l’intégrale d’Iberia sous ces doigts mi-sorcier mi-magicien !
Tout ce que grava Guiomar Novaes en 78 tours, de 1919 – il faut entendre comment son art des timbres l’aide à passer la barrière de captation de l’enregistrement acoustique – à 1947 nous en dit presque plus long sur son pianisme que les célèbres microsillons Vox, même si son répertoire se trouve cantonné aux pièces brèves.
Art si singulier qu’on ne peut bien évidement le réduire à l’école française. Mais elle en applique tous les principes dans les étincelants Feux follets d’Isidor Philipp, son professeur, ou dans les timbres finement dosés de Jeunes filles au jardin de Mompou demeurées mémorables malgré les années. Cet art transcrit un rapport naturel au clavier, une fusion avec l’instrument qui me sidèrent à chaque fois que j’entend cette artiste. Guiomar Novaes est toute entière dans son piano.
Parmi les concertistes de son temps, et surtout si l’on considère d’où elle venait, elle imposa une lecture moderne des textes, d’ailleurs rien dans son jeu, aujourd’hui encore, ne date. Là où les autres mettent de l’affectation, elle met de la noblesse ; là où l’esbroufe est de mise, elle déverse de la musique ; là où les doigts s’imposent, elle pense couleur et volume. Et si le tempo ralenti – écoutez la fin de La tendre Nanette de Couperin – ce n’est pas coquetterie, c’est émotion.
Sommet de l’album, la Troisième ballade de Chopin, merveille de phrasés, d’éloquence sans appui, et dont la conception si évidente me ravit. Mais il ne faut pas négliger les Villa-Lobos (surtout As très Marias) et les Scenas infantilas de son composteur de mari, Octavio Pinto.
Bon, même si je suis aux anges de retrouver cet art si bien capté par les micros et les pâtes du 78 tours, tout de même, une édition complète et soignée des VOX serait bienvenue !
LE DISQUE DU JOUR
Guiomar Novaes
The Complete Published 78-rpm Recordings
Œuvres de Albéniz, J. S. Bach, Beethoven, Brahms, Chopin, F. Couperin, Daquin, Gluck, Godowsky, Gottschalk, Guarnieri, Ibert, Levy, Liszt, MacDowell, Mendelssohn-Bartholdy, Mompou, Moszkowski, Mozart, Paderewski, Philipp, Pinto, Rubinstein, Saint-Saëns, Scarlatti, Strauss, Villa-Lobos
Guiomar Novaes, piano
Un album de 2 CD du label APR 6015A
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Photo à la une : © DR