L’autobiographie chez Richard Strauss parcourt comme un fil rouge toute son œuvre symphonique, et pas seulement Heldenleben ! Le portrait n’est vraiment complet que dans la Sinfonia Domestica, partition de grand apparat avec laquelle il entendait conquérir le public nord-américain en s’y dépeignant en famille. Orchestre immense, pour un propos qui devrait être intime, et qui dispense autant de temps en tendresses sonores qu’en déploiements explosifs : le charivari du Finale est passé à la postérité, tout le grand orchestre symphonique selon Strauss y déployant des fastes sonores gargantuesques.
Cette démesure correspond à l’idée que les Européens se faisaient de l’Amérique, mais pose bien des problèmes aux orchestres, aux chefs, et partant aux ingénieurs du son. Pas pour Kristjan Järvi, qui dans la clarté de l’Orchestre de la Radio de Leipzig, fait résonner les polyphonies les plus dissimulées derrière les entrelacs d’une écriture si serrée que même Herbert von Karajan en oubliait ça et là : littéralement, les ultimes pages de la Sinfonia semblent montées sur ressorts, tout y est explosif comme la baguette intrépide mais maîtrisée du chef.
C’est le clou de ce troisième volet du Kristjan Järvi Sound Project auquel s’ajoute en bis le bref Praeludium for Jazz Band de Stravinski, et sortant de l’orbe classique, A Tone Paralell to Harlem pas si inspiré que cela par les œuvres de Richard Strauss, comme le voudrait Kristjan Järvi, ni d’ailleurs par Gershwin, car la grande machinerie du big band y est employée comme dans le répertoire habituel d’Ellington, tigre sonore impétueux qui rayonne de sa propre modernité. Kristjan Järvi lui donne plus de brio que de mordant, mais je ne boude pas mon plaisir. Quel autre mariage surprenant nous réservera le prochain volume ?
LE DISQUE DU JOUR
The Kristjan Järvi Sound Project – Vol. 3
Richard Strauss (1864-1949)
Sinfonia Domestica, Op. 53
Duke Ellington (1899-1974)
A Tone Parallel to Harlem
Igor Stravinski (1882-1971)
Praeludium for Jazz Band
MDR Leipzig Radio Symphony Orchestra
Kristjan Järvi, direction
Un album du label Naïve V5404
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Photo à la une : © Peter Rigaud