Boris Tishchenko demeure plus connu en Occident pour avoir aidé à la divulgation des Mémoires de Chostakovitch, dont il fut l’élève, plutôt que par son œuvre, injustice qui se répare peu à peu depuis que le compositeur a disparu dans sa soixante-dixième année voici cinq ans.
Cette méconnaissance est plus incroyable encore si l’on songe au succès rencontré par l’œuvre d’Alfred Schnittke, l’autre compositeur majeur de cette génération en Union Soviétique, d’autant que celle de Tishchenko ne lui cède en rien que ce soit en qualité ou pour la variété du catalogue.
Mais voici que paraissent coup sur coup deux albums monographiques qui explorent sa production chambriste. L’heure d’une réévaluation serait-elle venue ? Nicolas Stavy a choisi de graver deux des onze Sonates pour piano qui courent tout au long de son œuvre – la Onzième sera son ultime partition. Deux Sonates des années quatre-vingt absolument antithétiques l’une de l’autre. La Septième ajoute au piano un jeu de cloches et dans le Finale un glockenspiel fumanbule et ironique dont le motif circulaire efface la musique.
Tishchenko y déploie une grande structure en trois mouvements – l’œuvre dure quarante minutes – dont l’objet musical pourrait-être le vide, musique de l’absence, d’une atmosphère macabre assez insoutenable. Alors que la Huitième Sonate, écrite dans un néo-classicisme ironique, est comme un rébus musical, un divertissement formel réjouissant et inquiétant à la fois. Bravo à Nicolas Stavy de nous dévoiler dans son clavier lumineux ces deux opus majeurs, en espérant qu’il pourra persévérer en gravant les neuf autres Sonates.
Gabriel et Dania Tchalik ont eux gravé toute l’œuvre pour violon – solo ou avec piano – et là encore une collection de partitions radicales fait surface : la Fantaisie (1994) qui ouvre le disque donne le vertige, la puissance du discours se souvient du lyrisme de Chostakovitch en le piquant d’une nuance sarcastique. Là encore la variété des styles saisit : l’idiome faussement « violoneux » des deux Danses semblerait à cent lieux du chef d’œuvre de l’album, la brève Sonate pour violon seul de 1957 où Tishchenko déploie des chants déchirants – l’Andante est insoutenable de tristesse.
La même année, il compose un Rondo tendre, presque désuet, une longue mélodie sinueuse irrésistiblement tendre, avec un petit coté Poulenc désarmant. Autre opus majeur, la grande Seconde Sonate pour violon seul (1975), écrite comme une suite en sept mouvements. Cette fois, Tishchenko regarde Bach droit dans les yeux, et Gabriel Tchalik soutient le propos, archet ample et mordant, jeu de haute école, son frère pianiste, Dania n’est pas un moins grand musicien.
Le soin apporté à l’album jusque dans un livret artistement ouvragé qui rassemble douze dessins d’Oscar Rabine fait honneur à l’éditeur. Puisse-t-il trouver demain un chef et un orchestre pour que Gabriel Tchalik nous révèle les deux Concertos pour violon.
LE DISQUE DU JOUR
Boris Tishchenko (1939-2010)
Sonate pour piano No. 7,
Op. 85
Sonate pour piano No. 8,
Op. 99
Nicolas Stavy, piano
Jean-Claude Gengembre, cloches, glockenspiel
Un album du label BIS 2189
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Boris Tishchenko
L’Œuvre pour violon
Fantaisie pour violon et piano,
Op. 118
Sonate pour violon seul No. 1, Op. 5
Rondo pour violon et piano, Op. 2
Capriccio pour violon et piano,
Op. 31
2 Danses dans le style ancien, pour violon et piano, Op. 62bis
Sonate pour violon seul No. 2, Op. 63
Gabriel Tchalik, violon
Dania Tchalik, piano
Un album du label Evidence Classic EVCD013
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Photo à la une : © DR