Août 1974, Dresde, Lukaskirche, Heinrich Hollreiser enregistre la première intégrale discographique du Rienzi de Wagner. Le héros de l’entreprise ne fut pas celui qu’on croyait, René Kollo se tirant certes de l’exténuant rôle-titre aussi bien qu’il put sans en avoir les moyens : la vraie surprise vint d’Irène, la sœur de Rienzi, chantée avec une voix de diamant par une soprano suédoise encore peu connue en dehors de son pays : Siv Wennberg.
L’année suivante, elle brûlera les planches de l’Opéra Royal de Stockholm avec une fulgurante Sieglinde pour le Ring de Rudolf Kempe et une Kaiserin dont Walter Berry gardera un souvenir ému.
Cette Kaiserin mythique, la voici enfin éditée. La Femme sans ombre captée le 13 décembre 1975 à l’Opéra Royal de Stockholm circulait sous le manteau, tronquée au deuxième acte, piratée de la salle. Le peu qu’on en percevait saisissait pourtant. Le label Sterling la publie dans son intégralité, et dans un son superbe de présence.
Soirée flamboyante, emmenée avec rage et lyrisme par Berislav Klobucar, familier de l’œuvre, et qui réunissait une équipe de chant étourdissante. Walter Berry y incarnait son Barak bouleversant d’humanité face à La Teinturière de Birgit Nilsson, plus voluptueuse que mégère, Barbo Eriscson campait une Nourrice d’anthologie secondée par l’abyssal Geisterbote de Bo Lundborg.
Et surprise, Matti Kastu, dans sa rayonnante jeunesse, fait un Empereur conquérant, ardent et subtil à la fois, loin du personnage vain et léger qu’une certaine tradition a imposé : la voix est solaire, les mots claquent, l’aigu brille. Et Siv Wennberg ? Sa Kaiserin, adamantine à son entrée, donne toute la mesure de son grand soprano à l’Acte III, son renoncement est particulièrement émouvant, elle réunit le rêve et le sacrifice comme seules le firent Leonie Rysanek et Gundula Janowitz. Dommage que nous n’ayons pas une captation vidéo de la mise en scène du tout jeune Nikolaus Lehnhoff, mais pour certains, la mémoire suppléera : Garnier a vu cette production lors des mythiques soirées dirigées par Karl Böhm.
Même si son Amelia du Ballo in maschera ravit plusieurs saisons durant les spectateurs de l’Opéra Royal – elle y sera filmée en compagnie du rare Riccardo de Nicolai Gedda, la grande affaire de Siv Wennberg fut tout de même Wagner – le placement très haut de sa voix, sa technique de chant en acier trempé qui lui permettait d’attaquer les notes pour ainsi dire « les yeux dans les yeux », son timbre radieux et son art des mots en firent une Sieglinde, puis une Brünnhilde de légende, mais on sait moins qu’elle aborda également Isolde, une fois uniquement, en concert à Stockholm sous la direction de Franz Welser-Möst qui venait de prendre en mains les destinés de l’Orchestre Symphonique de Norrköpping, et à l’insistance du producteur de concert Hans Hiort.
Le 15 octobre 1988, le Concert Hall de Stockholm accueillait cette Isolde radieuse, aux aigus insolents, à la voix fluide : tout dans l’art de Siv Wennberg se confrontant à ce rôle rappelle l’achèvement auquel était parvenue Catarina Ligendza en 1974 à Bayreuth sous la direction de Carlos Kleiber, la même douceur dans le timbre, les mêmes fulgurances dans les mots, ses aigus impérieux mais toujours chantés.
Admirable, d’autant que son Tristan est Spas Wenkoff, inaltéré par les années, d’une vaillance d’un élan qui rappelle qu’il fut probablement le dernier grand Tristan. Autre perle de la soirée, la Brangäne d’Anne Wilkens, venue de Londres remplacer au pied levé Sylvia Lindenstrand, qui marie idéalement son long mezzo ambré à l’étoffe rêveuse du timbre de Siv Wennberg et le Roi Marke n’est autre que Peter Meven. Franz Welser-Möst dirige sur les pointes, précis et flexible, faisant de l’Acte II un envoûtant poème nocturne, jouant de son orchestre comme d’un immense ensemble chambriste. Soirée bénie des Dieux, miraculeusement préservée sur du matériel professionnel par un ami d’Hans Hiort.
Devant le succès de cette première Isolde, l’Opéra Royal de Stockholm programma une reprise de l’ouvrage avec Siv Wennberg, mais le projet fut abandonné pour des raisons financières. Sa seule Isolde est ici, radieuse, impérieuse, dévoilée enfin, inoubliable.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Strauss (1864-1949)
Die Frau ohne Schatten
(La Femme sans ombre),
opéra en 3 actes de Richard Strauss, sur un livret de
Hugo von Hofmannsthal
Siv Wennberg, soprano
(Die Kaiserin)
Matti Kastu, ténor (Der Kaiser)
Birgit Nilsson, soprano
(Die Färberin – La Teinturière)
Walter Berry, baryton-basse (Barak)
Barbro Ericson, mezzo-soprano (Die Ame)
Bo Lundborg, basse (Der Geisterbot)
Birgit Nordin, soprano (Falke)
Chœur et Orchestre de l’Opéra Royal de Stockholm
(Kungliga Hovkapellet Stockholm)
Berislav Klobucar, direction
Enregistrement réalisé le 13 décembre 1975 à l’opéra de Stockholm
Un coffret de 3 CD du label Sterling CDA 1696/1698-2
Acheter l’album sur le site du label Sterling, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr
Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde
Siv Wennberg, soprano (Isolde)
Spas Wenkoff, ténor (Tristan)
Anne Wilkens,
mezzo-soprano (Brangäne)
Peter Meven, basse
(König Mark)
Björn Asker, baryton (Kurwenal)
Lennart Stregard, ténor (Melot)
Raymond Björling, ténor (Ein Steuermann)
Orchestre Symphonique de Norrköping
Franz Welser-Möst, direction
Enregistrement réalisé le 15 octobre 1988 au Concert Hall, à Stockholm
Un coffret de 3 CD du label Sterling CDA 1690/92-2
Acheter l’album sur le site du label Sterling, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr
Photo à la une : © DR