Nouveaux Préludes

Que sont les Préludes de Debussy, des paysages, des poèmes ? Francesco Piemontesi répond : des toiles abstraites peintes par un clavier.

Il sculpte dans le somptueux piano enregistré ici un texte nouveau, dont la variété de jeux, la subtilité des phrasés, la clarté des rythmes, la transparence des harmonies pourtant cuivrées, l’absence de sollicitation, lui furent révélées lorsque son professeur Cécile Ousset mit entre ses mains une première édition des Préludes annotée par son maître Marcel Ciampi. Sur les portées couvertes par ses commentaires se remarquaient des pattes de mouches souvent énigmatiques : l’écriture de Debussy lui-même.

La somme de ces annotations produisit une nouvelle cartographie du continent des Préludes que Francesco Piemontesi restitue ici. Les tempos, les idées musicales, la profondeur du jeu et son éclat sombre ne sont pas si loin de la manière qu’y déploya Claudio Arrau, avec dans le médium une couleur plus lunaire, quelque chose de plus fluide, de plus rêvé.

La subtilité des phrasés et la précision du jeu changent radicalement le visage de certains Préludes : impossible de ne pas réécouter sans cesse « Les fées sont d’exquises danseuses » dont la réalisation est prodigieuse de précision, d’exactitude pour les teintes ou les phrasés, et dévoile dans toute sa complexité la syntaxe si mobile de Debussy : jamais son piano n’a été aussi proche de l’orchestre de Jeux. Et derrière cette perfection sans appui, un érotisme incessant meut cet univers de l’étrange. Ondine le signe bien entendu, mais plus encore Canope, Feuilles mortes, et dans le Premier Livre, Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ou Voiles.

Certains trouveront la lecture faite comme à rebours. Le pianiste voit tous les Préludes depuis l’achèvement du Deuxième Livre, cela s’entend d’évidence. Il n’y a plus rien dans le Premier Livre d’insouciant, de simplement descriptif, tout déjà est abstrait, concentré, annonce par anticipation le diptyque final des Tierces alternées et de Feux d’artifice qui atteint les quasi cinq minutes, détaillé avec une minutie de dynamiques et de phrasés sidérante. C’est un choix drastique qui assume une vision nouvelle, radicale, dérangeante, un grand disque en somme. Je me demande bien ce qu’il ferait des Etudes.

LE DISQUE DU JOUR

cover debussy piemontesi naiveClaude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 117
Préludes, Livre II, L. 123

Francesco Piemontesi, piano

Un album du label Naive V5415
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Photo à la une : © Benjamin Ealovega