Morton Gould, vous connaissez ? Ah mais si, fatalement vous connaissez. Le Protest de ses Spirituals for Orchestra ouvrit Les Dossiers de l’écran durant deux décennies, donc fatalement vous connaissez.
Ce proche de Copland – justement il mariait sur un des microsillons réédités ici ses Spirituals avec la si raffinée et inventive Dance Symphony de son aîné de treize ans – passa à la postérité pour son art de chef d’orchestre brillant qui se dévouait volontiers au répertoire léger : Fritz Reiner l’estimait et l’invita à diriger les concerts populaires des sessions d’été de l’Orchestre Symphonique de Chicago au Festival de Ravinia, Jean Martinon se lia d’une amitié profonde avec lui et lui confia bien des soirées d’été ou de saison, ayant flairé derrière son apparence de clergyman que cet homme réservé qui mettait le feu aux orchestres en les saturant de rythmes afro-cubains était un musicien de premier ordre.
Le disque a abondamment illustré sa veine populaire, mais avec l’Orchestre Symphonique de Chicago, il grava de 1965 à 1968 six microsillons dont un seul – dédié aux Valses de Tchaikovski – sacrifia au répertoire de bis.
Les quatre autres rappellent qu’en tant que compositeur inscrivant son œuvre dans le grand concert contemporain des Amériques, Morton Gould était un acteur militant de la musique moderne aux États-Unis. Deux disques Ives pionniers, parfaits, d’une exigence dans la réalisation artistique qui posaient de nouveaux standards quant au rendu sonore des œuvres de ce compositeur aussi isolé que visionnaire, restent immaculés : la Première Symphonie est parcourue par un souffle incroyable, The Unanswered Question sonne quasiment comme de la musique concrète, c’est inouï, le diptyque des Orchestral Set hélas incomplet – la durée du microsillon lui imposa de ne graver du second que Putnam’s Camp, Reding Connecticut, la Robert Browning Overture complétant l’album – demeure un disque aussi historique que méconnu.
Lorsque Benny Goodman approcha Morton Gould pour déterminer le répertoire qu’ils devaient enregistrer ensemble, il lui lança tout à trac : « Vous jouez le Nielsen ? ». Goodman s’y colla, c’est demeuré avec les Contrastes où il rejoignait Bartók et Szigeti, son meilleur disque « classique ». Et il faut entendre comment Morton Gould lui répond et l’entraîne, surtout comment le même jour il emporte dès l’Allegro colerico une des plus stupéfiantes lectures de la 2e Symphonie du compositeur danois.
L’ultime microsillon gravé en 1968 par Gould et ses amis de Chicago fut un disque russe : l’Antar de Rimski-Korsakov y complétait la 21e Symphonie de Nikolai Miaskovsky : du rare pour finir.
Mais enfin, maintenant que Sony a publié les diamants de cette couronne, il lui faut assembler les autres microsillons de ce magicien impeccable : on aura de la conga, on aura aussi, surtout une des Fille de Pohjola les plus irrésistible de toute la discographie.
LE DISQUE DU JOUR
Morton Gould
The Complete Chicago Symphony Orchestra Recordings
Morton Gould (1913-1996)
Spirituals for Orchestra
Aaron Copland (1900-1990)
Dance Symphony
Charles Ives (1874-1954)
Variations sur « America »
The Unanswered Question
Symphonie No. 1 en ré mineur
Orchestral Set No 2
Three Places in New England (extrait: II. Putnam’s Camp)
Robert Browning Overture
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
La Belle au bois dormant (Suite), Op. 66b (extrait : Valse)
Casse-noisette, Op. 71 (extraits)
Le Lac des cygnes, Op. 20 (extraits)
Sérénade pour cordes en ut majeur, Op. 48 (extrait : 2. Valse)
Eugene Onéguine, Op. 24 (extrait : Valse)
Symphonie No. 5 en mi mineur, Op. 64 (extrait : III. Valse)
Carl Nielsen (1865-1931)
Concerto pour clarinette et orchestre, Op. 57
Symphonie No. 2, Op. 16 « Les Quatre tempéraments »
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Symphony No. 2, Op. 9 “Antar”
Nikolai Miaskovski (1881-1950)
Symphony No. 21 en fa dièse mineur, Op. 51
Fred Fisher (1875-1942)
Chicago
Benny Goodman, clarinette
Chicago Symphony Orchestra
Morton Gould, direction
Un coffret de 6 CD du label Sony/RCA 88875120702
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Photo à la une : © DR